André Denis est psychiatre infanto-juvénile. Il est responsable du centre de réadaptation fonctionnelle "le Saulchoir", à Kain .

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André Denis répond à nos questions
Au préalable, je tiens à préciser que je ne me sens en rien un "expert" en la matière. Je pense même davantage que les “psy”, s'ils sont effectivement intéressés par tous les problèmes de société et s’ils ont leur propre manière de les évoquer, ne sont en rien autorisés, à leur tour, à “donner des leçons” dans d’autres champs que ceux de la psychiatrie et/ou de la santé mentale.
Comme je le dis souvent : «  écoutez les psys ! ils ont une manière intéressante de regarder le quotidien !... mais ne
faites jamais ce qu’ils disent »
Quelle est l'origine de votre réflexion/de votre attention  sur les difficultés des enfants à l'école ?

La seule petite autorité que je puisse avoir est liée à ma profession de psychiatre infanto-juvénile, que je pratique depuis près de 45 ans.
Cette position s’appuie sur “un regard singulier”.
Autrement dit, sur la rencontre particulière avec un enfant (et son environnement), sachant que jamais deux situations ne sont semblables. C’est cela le point de vue singulier, un peu différent du point de vue “personnel”.
L’une des “plaintes” les plus souvent avancées par les parents, tourne autour d’une difficulté d’adaptation à la scolarité, soit sur le plan du comportement, soit sur le plan des apprentissages
Ces difficultés me semblent s’accroître de façon exponentielle. C’est cela qui interroge.
Accuser l’école de ne pas être adaptée aux temps modernes, me semble une accusation gratuite et s’il peut être intéressant d’y réfléchir, elle ne me semble pas le premier centre d’intérêt.
L’école est inscrite dans une culture qui “la porte”.
Cette culture est elle-même inscrite dans un mouvement de civilisation.
Nul ne peut y échapper.
Interroger la culture est donc plus intéressant.

 
Votre expérience professionnelle vous a amené(e) à rencontrer de nombreux enfants en difficulté dans le contexte scolaire.  Pourriez-vous citer 3 caractéristiques communes à tous les enfants qui vivent cette réalité ?

La réponse n’est pas possible pour un psy. Puisqu’il le faut, voici trois idées :

  • Tous ces enfants me semblent « déprimés ».
  • Ils ne sont pas reconnus dans leur fragilité et leur vulnérabilité d’enfant.
  • Ils ont peu d’accès au « langage » (à ne pas confondre avec la parole)

Tout ceci me semble très réducteur.

Vos représentations de cette problématique ont-elles évolué dans le temps ?  Grâce à quoi ?  ... à qui ?


Ces problématiques ont-elles évolué dans le temps ? ... Oui, sans contestation.
Les difficultés présentées par les enfants, dans le cadre des consultations, sont profondément différentes de ce qu’elles étaient il y a 40 ans.
Il faut nuancer : la pratique du travail du psychiatre infanto-juvénile et des équipes dans lesquelles ces médecins s’inscrivent a également beaucoup évolué.
Les théories sur lesquelles nous nous appuyons pour tenter de “décoder” les drames individuels ont aussi évolué.
Il s’agit donc d’adaptations réciproques, sans pouvoir dire, de la poule ou de l’œuf, qui est le premier.
Ces changements sont donc liés aux “plaintes” avancées par les familles ou les institutions.
Dans notre travail, “l’équipe” constitue un extraordinaire moteur de réflexion par la diversité de celles et ceux qui la constituent, dont les diplômes de base sont différents mais également dont les formations théoriques sont plurielles.
Toutes ces théories se complètent, s’épousent, se renforcent et permettent un regard assez large sur ce “singulier”.

A votre avis, l'école fait-elle partie du problème ?

Vraiment, j’espère qu’elle se sent responsable !
C'est-à-dire qu’elle se sent la première concernée par les difficultés qu’elle rencontre face d’une part aux changements progressifs des problèmes présentés par les enfants et d’autre part face aux enjeux de société qui ont aussi changé.
Si on dit responsable, on ne dit en aucun cas coupable et de mon point de vue, sûrement pas la première coupable.
Mais déjà, ici l’une ou l’autre piste pourrait s’envisager d’abord au niveau de l’école maternelle, dont la fonction première devrait rester la socialisation d’une part et le déploiement du langage d’autre part.

L’école primaire, quant à elle, pourrait se passer d’ordinateur. Il s’agit à ces âges d’exploiter autant que possible notre « ordinateur central », à savoir le cerveau.
Si les enfants de maternelle ont deux missions :
  • apprendre à rencontrer les autres.
  • apprendre à s’exprimer

Les enfants de 6 à 12 ans ont également deux missions :
  • apprendre absolument à jouer (faute de quoi les apprentissages ne sont pas possibles)
  • tenter d’acquérir les bases sur le plan pédagogique

A cela il faut réfléchir en priorité.

Est-ce possible ? Dès lors que nos écoles s’appellent maintenant des centres « éducatifs » ? Alors que justement les enseignants estiment qu’ils n’ont pas à éduquer les enfants, du moins en priorité, ce qui est en partie vrai.

Pourquoi le terme éducatif plutôt que le terme pédagogique, si la mission première de l’école fondamentale est effectivement d’apprendre ?

Le paradoxe va du reste plus loin, puisque au niveau des adultes présentant des handicaps mentaux, les autorités demandent que les institutions construisent des projets pédagogiques alors qu’il ne me semble pas que les institutions travaillant avec des adultes handicapés mentaux aient en priorité à leur enseigner des matières…. Peut-être ont-elles comme mission de les aider à se déployer et à vivre comme des citoyens à part entière. Cela ce n’est pas de la pédagogie.

Dire tout cela c’est encore une fois reparler du « langage », c'est-à-dire apprendre à utiliser des mots qui « signifient quelque chose », permettant des représentations sur le plan psychique.
Les exemples en la matière depuis 4, 5 ans font légions.

Comment appréhendez-vous la situation d'un enfant en difficulté à l'école ?  Quelles sont vos premières clés de lecture de cette difficulté ?

Une “clef de lecture” serait située au niveau de la connaissance, qu’à mon sens, l'enseignant doit savoir de la situation
familiale de l’enfant.
Beaucoup de questions d’apprentissage ou de comportement peuvent se comprendre par cette grille de lecture.
Ceci dit, comprendre n’est pas excuser… Mais le regard peut être différent.

Se rappeler que l’enseignement s’inscrit dans une culture donnée et que cette culture actuelle est plutôt “dépressive”.
Pas de contraintes ! Pas de privations ! Les unes comme les autres sont vécues un peu comme des crimes.
Les unes comme les autres ne vont pas de soi aux yeux de l’enfant contemporain.
Ce n’est pas une raison pour ne pas établir ces règles, mais il faut savoir l’effet que cela entraînera surtout dans certains milieux.
Ici encore le regard changera.

Restaurer le sens de la “sanction” d’une part et de la “punition” d’autre part.
Un mot n’est pas l’autre.
Si la sanction doit être fréquente, dès que des limites sont dépassées, la punition doit rester exceptionnelle.
C’est un réel outil de travail si on se rappelle que la punition doit répondre à un certain nombre de critères (que je suis prêt à préciser) pour être efficace.
C’est le moment sans doute de reparler du statut du “langage” !
De ré-évoquer la nécessité du mot juste et signifiant.
De ne pas avoir peur d’appeler un chat un chat (éduquer n’est pas enseigner, se sentir troublé n’est pas une maladie, être différent n’est pas être handicapé, être garçon n’est pas être fille, la communication n’est pas une relation…..).
On pourrait aussi se rappeler (belle clef de lecture !) que ne pas être inscrit dans le langage met toujours l’enfant dans une situation dangereuse qui lui donnera le sentiment d’être agressé (à développer).


Qu'avez-vous appris, par votre expérience, qui pourrait aider les enseignants à mieux appréhender la réalité de ces enfants et les guider dans leur travail d'accompagnement de ceux-ci ?  


J’avoue avoir un peu de peine à répondre à cette question, sans doute trop générale par rapport au type de travail des psys.
Je dirais aux enseignants, d’abord de lire le livre écrit par l’un de leur condisciple et qui s’appelle : « chagrin d’école »’ – ce livre- témoignage nous rappelle fermement l’importance pour un élève, surtout lorsqu’il est petit, de son « maître ».
J’aimerais rappeler aux enseignants qu’ils sont un rouage central dans le développement des jeunes et qu’il faut à tout prix qu’ils refassent confiance à leur rôle.
Je leur dirais aussi combien il ne faut pas hésiter à individualiser les rencontres. Bien souvent quelques minutes en tête à tête avec un élève entre deux cours, au moment d’une récré ou autre, peut rétablir des liens par ailleurs distendus. Ceci évidemment à condition qu’ils aient fait “leur” le titre de cet autre livre « Parle-moi j’ai des choses à te dire » de Jacques Salomé.
Parler aux enfants, c’est effectivement surtout les inviter à s’exprimer même s'ils ne répondent que par le silence des mots, mais aussi par la vivacité de leur regard.
Je voudrais rappeler aux enseignants, combien un “mot” peut avoir d’importance.
Un mot, et un seul. Chaque mot prononcé a obligatoirement un effet, comme une graine semée.
Mais il faut parfois du temps pour que le fruit advienne.
Ah ! Si ces trois points pouvaient se ré-ancrer dans le champ de la confiance des enseignants envers les élèves, on ferait des miracles.


Pouvez-vous témoigner d'une réussite dans votre travail d'accompagnement d'enfants en difficulté ?


Je pense que témoigner de ses échecs est souvent plus riche au niveau de la réflexion et des enseignements à en tirer que de témoigner de ses réussites.
Je ne pense pas possible d’en dire davantage au travers de cet écrit.
Mais je peux assurer que des enfants ont été littéralement sauvés par un mot, par un regard, par un geste, par un contact…. Avec un enseignant ou une direction.
Parler de réussite ou d’échec, n’appartient ni aux enseignants ni aux « experts ».

Seuls les enfants devenus adultes pourront témoigner de ce qu’ils n’ont jamais trouvé ce qu’ils cherchaient ou au contraire, de ce que tel petit évènement leur a apporté de positif.
Ce dernier point, je l’entends tous les jours.
Pour ma part, je pense qu’une « réussite » existe chaque fois qu’un adulte peut reposer un regard de confiance sur un enfant, même si ses limites intellectuelles ou développementales sont importantes.
J’aurais ici souhaité dire un mot de « l’enseignement intégré »
Nous le réalisons depuis de très nombreuses années et bien avant la circulaire 190 de 2004, ou les nouvelles dispositions prises récemment en la matière, mais ce serait probablement trop long ici.

Si vous pouviez disposer d'une baguette magique pour changer une seule chose dans l'école, que changeriez-vous ?

Cela me fait penser à la chanson de Brel «  moi, si j’étais le Bon Dieu … »
Hélas nous n’avons ni baguette magique ni de pouvoir divin.
Mais le premier souvenir qui me remonte à l’esprit est celui d’un enseignant de 5
e primaire du Lycée qui avait établi ce qu’il appelait « le cercle rouge »
Si j’ai bien compris ce qu’il m’a expliqué à l’époque, cela ressemble beaucoup à la fin de journée des scouts autour du feu de camp, lorsque chacun est amené à exprimer ce qu’il a vécu d’important au cours de la journée.
Cet enseignant avait proposé cela par rapport à un enfant handicapé, en enseignement intégré, dont les jeunes avaient tendance à se moquer.
Ce jeune est aujourd’hui adulte. Je ne dis pas que sa vie est facile, mais il mène une vie qu’on peut considérer comme dans les normes et je suis certain que c’est le talent de cet enseignant qui a permis son développement, en même temps qu’il a permis une “vraie intégration” par rapport aux autres enfants qui ont pu apprendre non seulement à s’exprimer, mais à dire leurs inquiétudes par rapport au handicap ou la maladie, à apprendre à se respecter, à s’entraider….
Si j’avais la baguette magique, j’inviterais les enseignants à réaliser une telle démarche du moins quand cela s’indique et à condition de respecter quelques règles de base.


Si vous n'aviez qu'un seul conseil à donner aux enseignants confrontés à l'accompagnement au quotidien d'enfants en difficulté à l'école, que leur diriez-vous ?

Je vous l’ai dit en commençant : écoutez les conseils des psys mais ne les pratiquez pas tel quel. Et pourtant, si j’avais un conseil j’inviterais les enseignants à faire des meetings pour plaider en faveur du  “jeu”.
Je leur proposerais qu’ils fassent des conférences, sur
l’immense importance du jeu entre 6 et 12 ans.
Sur l’immense importance de ne pas pousser trop vite ces enfants à grandir.
De prendre le temps de vivre leur enfance autour de jeux, de rêves, de fantaisies….
Pour les aider à développer ce « langage intérieur ».
Lequel spécifie la race humaine et constitue la seule vraie garantie de pouvoir faire face aux difficultés de la vie une fois adulte.

Et en guise de conclusion ...

Deux autres points très précis me semblent possibles à évoquer… si je l’ose !

  1. Je demanderais que les profs retrouvent la valeur de l’autorité (valeur perdue, si pas bafouée de notre culture contemporaine) non pas pour elle-même (à s’en mordre la queue !) mais parce que l’enfant, entre 3 et 12 ans ne PEUT PAS FAIRE SA LOI, qu’il est fragile, qu’il doit se forger des « règles intérieures ». Dès lors s’il vient demander secours aux adultes qui l'entourent (ex/ surveillant la cour de récré) il faut à tout prix, ne pas répondre : « tu es assez grand pour te défendre, débrouille-toi ! » Sinon soit ils se font agresser par le plus fort, soit ils construisent leur propre loi, soit ils se plaignent à leur père qui vient faire « sa loi » dans l’école et on est dans « l’œil pour l’œil… »
  2. Peut-être que je plaiderais contre la mixité à l’âge de l’apprentissage de base (6 – 12) au risque de paraître “rétro”. Pour “apprendre” on doit mettre en veilleuse ses problèmes de cœur, se renforcer, se consolider par les savoirs avant de repartir dans une conquête “sexuée”, à laquelle les médias donnent déjà trop d’écho.
Peut être seront-ils mieux équipés pour les années secondaires ?

Voilà d'autres pistes en outre des pistes suggérées ci-avant :

  • Que le prof reprenne confiance de son rôle et sache qu’il sera la pierre angulaire au moins pour 1 élève.
  • Individualiser la relation.
  • A tout prix respecter chacun.
  • Plaider en faveur du Jeu.
  • L’école ne peut pas être pointée du doigt, seule ! Elle s’inscrit dans une culture plus large dont « je » suis responsable.
  • Les enfants sont fragiles.
  • Il ne faut pas craindre l’autorité !
  • L’enfant contemporain est un peu « étranger » au langage – apprenons-leur à s’exprimer !
  • Pas d’ordinateur à l’école avant 10 ans (sauf les E.S )
  • Pour les 3 – 6 ans apprendre à s’exprimer, entrer en relation (même si c’est toujours « risqué »)
  • Pour les 6- 11 ans - Jouer ; - apprendre les bases
  • Utiliser des mots « signifiants » Ex : pourquoi pas « centre pédagogique de la Ste Union » ? (au lieu de éducatif qui vole aux parents leur mission)
  • Se rappeler qu’une punition est un outil de travail ! (dans des conditions précises).

Sans doute tout ceci est-il trop synthétique, mais je reste évidemment tout disposé à réfléchir à cela avec vous si vous le souhaitiez.
Avec mes sentiments les plus cordiaux.

André Denis, février 2010