Perle de sagesse : aimer ... c'est vouloir que l'autre vive.
Aimer… oui, mais au sens biblique du terme !

Aime ton prochain comme toi-même »… « Aimez vos ennemis »…
Le précepte, répété depuis deux mille ans, est peut-être bien beau, mais quand on se trouve, concrètement, face à quelqu’un qui ne vous inspire aucune sympathie ou, pis, qui vous a agressé ou blessé, il devient franchement imbuvable ! Aimer ses ennemis, aimer celles et ceux qui vous font du mal, c’est presque suspect – le masochisme n’est jamais bien loin…

Il est peut-être bon alors de se rappeler le sens des mots, tels qu’ils ont été utilisés à l’origine. Et tout d’abord ceci. Dans la Bible, l’amour n’est pas un sentiment spontané ! Il prend bien naissance dans le cœur, mais le « cœur », dans l’anthropologie biblique, c’est le siège de la volonté et de la décision. Rien à voir avec les déluges sentimentaux que déversent chansons et poèmes romantiques. Aimer, c’est une décision. Et cela, ça change tout.

Un sentiment, on ne peut pas le commander. Ainsi, la sympathie ou l’antipathie qu’inspire une personne, c’est viscéral, disons-nous avec justesse. On ne saurait éprouver d’amitié, de tendresse ou de sympathie (qui sont toutes des sentiments) envers une personne qui vous a fait du mal – encore une fois, ce serait une forme de perversion. Comme le dit sagement le proverbe : « On ne peut aimer tout le monde et son frère ». Si l’amour dont il s’agit est considéré comme un sentiment spontané, c’est parfaitement exact. La Bible ne prétend pas autre chose.

En effet, l’amour dont il est question dans les évangiles, c’est l’agapê, mot grec qui n’a pas d’équivalent en français – lequel utilise un seul mot (« amour ») pour désigner des réalités que les Anciens, eux, distinguaient finement. L’agapê, pour faire court, c’est
vouloir que l’autre vive. C’est vouloir qu’il grandisse en humanité. C’est vouloir ce qui est le meilleur pour lui. Et cela, quelles que soient les relations qu’on a avec lui, quelle que soit son histoire, quoi qu’il ait dit ou fait. C’est décider de ne pas rendre coup pour coup, de ne pas se venger – même si on a mille et une raisons de le faire. C’est décider de ne pas enfermer l’autre dans sa faute – réelle, souvent -, de ne pas le réduire à ce qu’il a fait. C’est ne pas condamner définitivement l’autre dans des jugements, des étiquettes sans appel. C’est aller jusqu’à consentir à ce qu’il s’éloigne de nous, si tel est son chemin d’humanité.

Certes, ce n’est pas évident ! Beaucoup de parents le savent, qui consentent à ce que leur fille, leur fils prenne son autonomie en se détournant, parfois violemment, du foyer familial. Qui consentent à des choix qui ne sont pas du tout les leurs – si ces choix aident leur enfant à grandir. Qui « pardonnent » (c’est-à-dire qui donnent par-delà…) ce que le regard extérieur juge impardonnable. Qui, parfois, décident de se montrer sévères, durs, intransigeants, non par colère (encore un sentiment !) mais parce qu’ils savent qu’en se montrant complaisants, ils maintiennent l’enfant dans la dépendance, l’empêchent de grandir – même si lui ne le sait pas.

Aimer, aimer vraiment, au sens de l’agapê biblique, c’est loin d’être facile ! Cela demande courage, volonté, lucidité, renoncement parfois au plaisir narcissique d’être apprécié. Oui, cela relève bel et bien de la volonté et de la décision ! Mais peut-être les pédagogues sont-ils, avec les parents, les personnes les mieux placées pour en parler. Tous les élèves ne sont pas également sympathiques. Certains même, oui, sont des « ennemis », de véritables teignes ! Ce qui est demandé, alors, ce n’est pas d’éprouver pour eux un élan du cœur – bien impossible à commander. C’est de les aimer. C’est-à-dire de décider de croire qu’ils ne sont pas « que » leurs piètres comportements ; qu’ils sont capables de changer, de grandir. C’est surtout ne jamais rendre vraie pour eux cette phrase terrible, en forme de jugement sans appel : « Avec toi, il n’y a vraiment rien à espérer ! ».




Myriam Tonus