Bénédicte Louis et Bénédicte Antoine sont enseignantes au cycle 4 de l'institut Saint Joseph de Libramont

Les clinicours, une remédiation différente et efficace

Le problème

Lorsque l'un de nos élèves était en difficulté, par rapport à un apprentissage donné, nous avions chacune tendance à le prendre en charge seule : en tâchant de comprendre ce qu'il n'avait pas compris et de le lui réexpliquer, ou de lui expliquer autrement ... Mais régulièrement, nous nous rendions à l'évidence que l'efficacité de ces séances de "rattrapage" était limitée : elles étaient rarement suffisantes pour lever tous les obstacles à la compréhension. Et puis, ne pouvant pas nous démultiplier, il nous était impossible de répondre à tous les besoins constatés chez nos élèves. Nous parions donc au plus pressé, choisissant d'aider plutôt cet élève-ci que celui-là ...

Le déclic
Il y a trois ans, nous avons eu la chance de participer à un cycle de formation centré sur des pratiques de différenciation
1. Le projet de cette formation était de s'approprier, en petites équipes d'enseignants, des éléments de réflexion et des exemples de démarches au service de la différenciation dans nos classes. C'est là que nous avons découvert la pratique des "cliniques" développée par Jacqueline Caron, ainsi que le tutorat 2.
Le fait d'y participer ensemble fut le réel déclencheur du changement de nos pratiques.
Si nous n'avions pu nous appuyer chacune sur l'autre pour réfléchir aux éléments qui nous avaient été présentés, confronter nos notes personnelles, nous dire mutuellement ce que nous en retirions chacune, construire ensemble des possibles pour notre quotidien ... nous n'aurions sans doute jamais fait le pas de modifier notre fonctionnement habituel.


Mise en place
Nous avons profité d'un changement d'organisation de notre horaire pour nous jeter à l'eau. Dans notre école, en effet, les cours de deuxième langue ont été organisés par demi-groupes. Nous nous retrouvions donc chacune, pour deux périodes par semaine, avec un groupe restreint d'élèves ... et nous nous sommes dit qu'il serait intéressant d'en profiter pour essayer autre chose.
Le fait de travailler en petits groupes était rassurant pour démarrer : les premières fois, nous éprouvions le besoin de superviser de près le travail des duos d'élèves. Mais travailler en demi-groupe ne constitue pas une condition essentielle : les clinicours marchent aussi très bien en grand groupe, comme nous avons pu nous en apercevoir depuis lors.
Clinicours, mode d'emploi
Concrètement, les séances de clinicours se déroulent le jeudi matin, en début de matinée.
Nous les préparons en ciblant les difficultés à retravailler et en établissant nous-mêmes la composition des duos. A cet égard, nous veillons à varier les duos d'une semaine à l'autre. Lorsque les élèves entrent en classe, ils prennent connaissance du tableau de répartition.

Lorsque cela nous parait nécessaire, il nous arrive d'intervenir également dans les duos : parce qu'un enfant est trop perdu face à l'apprentissage, ou lorsqu'il y a trop de demandes pour pas assez d'offres...

Lors d'une séance, plusieurs domaines différents peuvent être abordés mais parfois aussi, tout le monde travaille sur le même noeud-matière parce qu'il a posé problème à beaucoup d'enfants.

Si des duos sont amenés à revenir sur différents apprentissages au cours d'une même séance, nous leur indiquons un ordre de priorité : certains points sont plus essentiels, d'autres moins importants dans l'immédiat.

Lorsque des enfants ont terminé leur travail avant la fin de la période, ils peuvent poursuivre les activités entamées dans le
tableau d'enrichissement de la classe. Celui-ci est un outil appréciable pour réguler les différences de rythme de travail.

Aider et se faire aider, ça s'apprend

Souvent, le travail des duos porte au départ sur des exercices non réussis : les enfants repartent alors de la feuille qui avait posé problème, et retournent ensemble consulter les cahiers de synthèses pour revenir aux sources des erreurs.
Lors des premières séances, les "aidants" avaient tendance à simplement corriger en indiquant la bonne réponse. Mais avec le temps, ils ont compris qu'avoir la bonne réponse seule, sans savoir comment la reconstruire, cela ne servait pas à grand'chose. Aussi, au fil des séances, ils apportent une aide de meilleure qualité.

Quant aux "aidés", ils progressent aussi dans leur capacité d'identifier leurs difficultés : petit à petit, ils parviennent plus facilement à cibler ce qui leur a posé problème. Nous pensons que ces progrès sont dus au travail en petit groupe : il est toujours plus facile de reconnaitre une difficulté dans l'intimité du duo, face à un camarade de classe venu pour aider, qu'en situation de grand groupe, devant toute la classe.


Pas le remède miracle, mais ...
Bien évidemment, les clinicours ne constituent pas la solution miracle à tous les problèmes rencontrés. Certains de nos élèves sont en grande difficulté, et les clinicours ne sont pas suffisants en soi. Mais nous avons remarqué qu'ils ont une influence positive sur la concentration de ces élèves : ce sont souvent des enfants qui décrochent très rapidement en travail collectif alors qu'ils font preuve de beaucoup plus de concentration lors des échanges en duos.


Affûter son regard
Rapidement, un élément nous a paru essentiel : pour pouvoir organiser les clinicours, il faut vraiment être attentif à chacun, tout au long de la semaine. Observer en guidant son regard sur ce que l'on juge important et prendre des notes. Au départ, en effet, nous corrigions les productions des enfants sans chercher vraiment à savoir ce qui clochait en cas de difficulté, et surtout sans garder de traces de nos observations. Prendre des notes tout long de la semaine nous a permis de voir plus précisément où en était chacun et de cibler les difficultés qui feraient l'objet de la prochaine séance.
Grâce à cette obligation, notre perception de chaque élève s'est affinée : nous savons mieux ce qu'il réussit et ce qui lui pose encore problème.

Un fonctionnement continu
Il nous parait également important d'organiser les clinicours de manière récurrente (dans notre cas, au moins une fois par semaine). En effet, cela permet :
  • d'instaurer des habitudes de travail et un fonctionnement que les enfants s'approprient d'autant plus facilement, à force de se répéter
  • de les placer dans une logique formative, lorsque les apprentissages concernés sont en cours, et non à la fin de ceux-ci.

Le fait de les inscrire dans l'horaire de la classe (qui est connu des enfants) est une garantie de les maintenir chaque semaine ; par ailleurs, les programmer en fin de semaine nous permet de les organiser plus facilement, même après une période de congés.


Un pour tous, tous pour un
Nous pensons qu'il est important d'assurer la composition des groupes nous-mêmes : nous avons une bonne perception des problèmes à traiter et des ressources disponibles, ce que nous parvenons à expliquer aux élèves sans trop de difficulté. Et puis, il nous parait intéressant dépasser les clivages liés aux affinités entre les uns et les autres afin de tisser des liens de solidarité entre tous les enfants de la classe. Tout au long de l'année, nous veillons d'ailleurs à ne jamais comparer les enfants entre eux : nous rappelons souvent qu'ils ont tous leurs forces et leurs difficultés, et que c'est ensemble que nous devons tous progresser. A ce titre, un climat de classe basé sur la coopération et l'entraide nous semble indispensable pour que les clinicours soient efficaces.
Toujours les mêmes ?
L'une de nos premières inquiétudes était de voir toujours les mêmes enfants occuper les mêmes rôles, par la force des choses : toujours les mêmes en demande d'aide, et toujours les mêmes en position de les aider. Nous craignions qu'à la longue, les premiers ne se sentent infériorisés par rapport aux seconds. Avec le temps, ces craintes se sont dissipées : les enfants "en demande" se sentent aidés et pas jugés ... et sont demandeurs de poursuivre les séances.
Finalement, ce sont parfois les autres qui aimeraient quitter leur rôle de tuteur, même s'ils apportent volontiers leur aide. Certains enfants, par exemple, aimeraient plutôt mettre ce temps à profit pour avancer dans leur projet personnel ou continuer à "tracer tout seuls" leur chemin. Nous pensons que face à ces réactions plus individualistes, nous avons à leur faire vivre des temps de solidarité ... qui les enrichissent aussi, car redire ce qu'on a compris renforce cette compréhension.
De temps à autres, certains enfants très souvent "aidés" deviennent tuteurs à leur tour. C'est une vraie victoire pour eux ... et pour nous aussi !

En début d'année, lors d'une rencontre organisée avec les parents en classe, nous avons eu eu l'occasion de leur présenter les clinicours, en montrant notamment le tableau des duos de la dernière séance en date. Certains parents étaient surpris de découvrir que leur enfant avait été "aidant" pour un autre. Les clinicours leur ont permis de poser un regard plus positif sur lui.


Bénédicte Antoine et Bénédicte Louis, mars 2010

1. "Quand la différenciation s'installe dans notre quotidien", cycle de formation organisé par Focef Luxembourg et animé par Colette Mayon, Patrick Pierret, Pierre Poncelet, Jean-Marie Thomas et Christian Watthez
2. Voir l'outil
"Un pour tous, tous pour un : le tutorat au cycle 3", proposé par Ingrid Delmot