Gérer le temps de manière patiente

"Les projets pédagogiques qui tendent à développer et faire vivre des classes de cycle ou des classes uniques montrent que l’école gagnerait à penser autrement le temps, en particulier en ce qui concerne l’année scolaire. Une seule ne suffit pas. "
Pour Sylvain Connac, comme pour d'autres experts interrogés, un système scolaire divisé en années s'avère trop rigide pour prendre en compte le développement de chaque enfant.

Ces experts nous disent notamment qu'il est important :

  • d' accepter de "perdre" du temps avec les enfants pour en gagner bien plus ultérieurement
  • de repenser les espaces/temps de l'école pour davantage de souplesse
  • de se permettre de sortir du carcan du "programme"
  • de ne pas pousser trop vite les enfants à grandir et de leur donner le temps de vivre leur enfance autour de jeux, de rêves, de fantaisie
  • de favoriser le non-redoublement
  • pour l'enseignant, de prendre le temps de se questionner sur l'enfant en difficulté et d'essayer de le comprendre afin d'échapper aux stéréotypes faciles
Dans l'ère du temps immédiat ...
Nos enfants sont nés dans un monde, une société où « tout doit aller vite ». La publicité crée des besoins à satisfaire le plus vite possible : livraison 24h/chrono, connexion internet ultra rapide, vitesse d’impression jusqu’à 16 pages par minute, un café en moins de 30 secondes, fast-foods, même le vernis à ongles sèche en
un temps record … Parfois, un simple claquement de doigt permet d’obtenir ce que l’on désire et beaucoup d’enfants, d’adultes, d’enseignants fonctionnent ainsi…
Les enfants ont toujours envie de tout, tout de suite : achats, jouets, jeux électroniques, télévision, … Attendre relève de l’impossible pour eux. Certains parents ont du mal à résister à ce désir de satisfaction immédiate. Ils s’y plient, et ne sont pas conscients qu’ils n’apprennent pas à leurs enfants à « 
prendre le temps », « donner du temps ».

... l'école peut-elle avoir "son temps" ?
C'est vrai aussi sur les bancs de l'école : les enfants voudraient savoir lire tout et tout de suite et ne parviennent pas à comprendre que tout apprentissage nécessite
beaucoup de temps. Les parents eux-mêmes sont parfois impatients et ne comprennent pas qu'apprendre n'est pas immédiat.
Et les enseignants, le comprennent-ils ?
Beaucoup d’entre eux sont attachés à leur « programme » de l’année, qui est parfois très éloigné du Programme qui est leur référent. Ils prétendent souvent ne pas « 
avoir le temps » de consacrer d’autres activités autour de telle ou telle compétence avec tel ou tel élève, car le temps passe et il faut boucler la boucle. Une forme de pression pèse parfois sur eux : les parents, les collègues, la direction, le Po, l’inspection, les évaluations, les épreuves externes ou de fin de cycle.
Et pourtant, le programme du réseau libre accorde une place essentielle au
temps à consacrer aux apprentissages, à la continuité et à la mise en place des cycles :
Chaque enfant peut-il avoir "son temps" ?
Si les exigences légales attendues posent des balises sur le parcours à suivre, chaque enfant n'en chemine pas moins à son rythme. Pour la plupart d'entre eux, ces balises sont adaptées à leur maturité intellectuelle et à leur rythme d'apprentissage. Pour certains, par contre, le cheminement est plus long, les déclics moins rapides.
Le schéma ci-dessous, inspiré de Marcel Crahay
1, représente cette nécessité de "laisser du temps au temps".
" Que signifie ce schéma ?
Si l'équipe enseignante considère les résultats de Xavier en fin de 3e primaire comme significatifs, il est considéré en échec puisqu'il n'a pas, à ce moment-là, atteint le niveau de réussite attendu. Par contre, à la fin de la 4e primaire, il réussit.
Cela illustre le fait que Xavier a besoin de plus de temps que Sandrine pour atteindre le seuil de réussite exigé.
Autrement dit, prendre une décision trop hâtive aurait été préjudiciable à Xavier. Cela signifie aussi que, pendant ce temps, l'équipe d'enseignants veillera à mettre en place des conditions d'apprentissage adaptées à Xavier, conditions lui permettant de progresser vers la réussite. "

Pas dans le tempo de l'école ...

Combien d’enseignants d’aujourd’hui sont mal à l’aise face à ces enfants différents, qui ont des rythmes d’apprentissage différents, qui n’entrent pas dans le « moule » normalisé -et rassurant- de l’école.
Au sein d'une même classe, les écarts sont parfois énormes.
Cette hétérogénéité est souvent source d'anxiété et de découragement chez l'enseignant.
Paradoxalement, ce « moule » a un côté tellement rassurant pour l’enseignant et il s’y appuie avec, trop souvent, d’autres professionnels qui prônent une logique de production : il faut que tel élève sache telle chose à tel âge. L'enfant qui n'est pas dans le tempo de l'école n'entre pas dans la norme, malgré que ce tempo ne soit pas celui du Programme.

Ainsi, pour Sylvain Grandserre et Laurent Lescouarch, " ... contrairement à l'idée de cycles permettant une différenciation des rythmes et modalités d'apprentisage sur (2 ou) 3 ans, le recours systématique à des évaluations diagnostiques annuelles réintroduit (sans le dire explicitement) une logique de programmation fermée des contenus d'apprentissage pour chaque année. L'enfant lent se retrouve d'office rejeté dans la catégorie des élèves en difficulté ! Voilà comment on fabrique de l'échec supplémentaire en prétendant lutter contre."2

Et si chacun, enfants, parents, enseignants
, rendait le temps à l’enfant pour apprendre ?

1. CRAHAY Marcel, Peut-on lutter contre l'échec scolaire, De Boeck et Larcier, Bruxelles, 1996
2. GRANDSERRE Sylvain, LESCOUARCH Laurent, Faire travailler les élèves à l'école, sept clés pour enseigner autrement, ESF 2009, p. 108