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De l'enfant à l'élève, il y a un chemin à parcourir. Quels sont, à vos yeux, les principaux obstacles que l'enfant peut rencontrer sur ce chemin ?
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Ce qui pose problème, c’est que derrière les tâches, les activités (on accueille un lapin en classe, on l’observe, on lui donne à manger, on nettoie sa cage), il y a des enjeux d’apprentissage qui restent souvent implicites. L’enfant est mobilisé car il apprécie le contact avec l’animal. Il est curieux de mieux le connaître. Cependant, pour certains enfants, l’enjeu véritable au sens des apprentissages, de la compréhension du monde qui les entoure n’est pas du tout conscientisé. Cette aptitude à percevoir les enjeux d’apprentissage qui se cachent derrière les tâches se nomme « secondarisation » (Bautier et Goigoux, 2004).

Christine Caffieaux

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Le principal obstacle pour l’enfant est d’identifier les règles du jeu scolaire, plus ou moins opaques, et de pouvoir se repérer dans l’univers complexe des tâches scolaires : identifier la nature du « travail » scolaire, faire la distinction entre les aspects concrets (découper, coller, souligner) et les objectifs d’apprentissage visés (coller les étiquettes pour apprendre quoi ?).

Marie-Thérèse Zerbato-Poudou

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Etre élève est à la culture scolaire ce que devenir adulte est à l’indépendance. On devient adulte lorsque l’on parvient à assumer, par ses propres moyens, les besoins de son existence. De son côté, être élève passe par l’appropriation d’une culture scolaire. Celle-ci s’appuie principalement sur le fait que ce qui est attendu n’est pas seulement de produire, de répondre à des consignes, d’être bien sage et discipliné, mais de grandir et d’apprendre. En d’autres termes, être élève correspondrait à une sorte de grande aventure de la prise d’initiative : ne pas attendre que l’on nous conduise pour développer des efforts, s’engager par soi-même, questionner, chercher, prospecter … En somme, se sentir maître de son existence d’élève, être responsable. Le contraire de cette logique sera l’attentisme, la dépendance à l’adulte et l’assistanat.
L’immense problème, générateur d’inégalités et de grandes difficultés chez certains, c’est que ces codes scolaires et cette culture de l’engagement ne sont que très rarement enseignés par l’école. Malheureusement, certains élèves passent toute leur scolarité sans les connaître, sans même en savoir l’existence.
C’est à l’évidence une mission dévolue implicitement aux familles que de transmettre ces éléments de langages, ces modes de compréhension, ces conduites à tenir selon les situations, cet esprit de recherche perpétuelle. Ce qui condamne les élèves dont les parents ignorent ces réalités (ou se trouvent dans l’impossibilité de les mener) à subir l’école comme un monde abscons, où ce qui est formellement demandé n’est pas en fait ce qui est attendu, où réussissent au final que ceux qui ont eu la chance d’obtenir ces clés ailleurs et autrement.

Sylvain Connac

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Pour devenir élève , l’enfant doit relever 5 véritables défis :
  1. Il doit « parier » que, loin de ses parents et sans eux, dans cet endroit étrange qu’est l’école, il va apprendre des choses essentielles pour sa vie
  2. Il doit changer de culture, passer de l’oral pratique à l’écrit abstrait
  3. Il doit acquérir un autre langage, plus cognitif, plus universel
  4. Il doit adopter la forme scolaire d’apprentissage, lui donner du sens
  5. Il doit modifier sa position sociale, entrer dans un monde impersonnel, professionnel, où ce qui compte c’est ce qu’il apprend avec les autres


Danielle Mouraux

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Je cite toujours Perrenoud :
« Un élève qui résiste à l’intention d’instruire des adultes, à l’entreprise de scolarisation, se prépare aux pires ennuis. D’autant plus que son école est sélective. Réception de mauvais points, de mauvaises notes, et dans certains pays encore de coups. Puis, il devient l’objet à toutes sortes de propos blessants : on lui dit qu’il est bête, lent, peu motivé, qu’il manque de sérieux, d’ambition, de méthode, de lucidité ; qu’il devrait avoir honte. S’il persiste à ne pas travailler et à ne pas apprendre, on l’astreint au " soutien pédagogique ", on le fait redoubler, on le relègue dans les filières les moins exigeantes, voire dans une classe " spécialisée ". Le refus de jouer le jeu scolaire a donc des conséquences sociales importantes : il en coûte d’être " objecteur de conscience " dans le champ du savoir et de la scolarisation ! La plupart des enfants et des adolescents se plient donc à la norme, les uns parce qu’ils y adhèrent, bon gré mal gré, les autres parce qu’ils apprennent que cela leur coûte finalement moins cher qu’une résistance ouverte ».

Etiennette Vellas

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L’école est une norme. Elle a ses principes, ses valeurs, ses règles, le plus souvent héritées d’une culture dominante qui n’est pas intégralement, loin s’en faut, partagée par tous les élèves. C’est donc à une espèce d’apprentissage de la « règle du jeu » que vont être soumis les enfants. Ces derniers peuvent même être victimes d’un conflit de loyauté entre ce qu’ils vivent au quotidien en famille et ce qu’exige d’eux l’école. N’accédant pas directement au sens des apprentissages, les élèves mettent en place des stratégies justifiant une telle mise au travail. Ils vont chercher à faire plaisir à leurs parents ou au professeur, se voir récompenser par des « bons points », se mettre à travailler pour la note ou parce que le maître est gentil. La dimension affective est donc importante mais aussi redoutable en cas d’échec ! La grande difficulté pour l’élève est donc de ne pas être esclave de la recherche naturelle de cette reconnaissance, mais bien de trouver par lui-même et en lui-même en quoi l’acquisition d’un savoir peut l’enrichir et lui être foncièrement utile.

Mais l’institution a aussi une grande part de responsabilité. Par exemple, en proposant des programmes scolaires adaptés, mais également au sein de la classe, en menant des projets véritables qui permettent à l’élève de faire « pour de vrai » quand la plupart du temps il fait « pour de faux » (exemple : quand il étudie la correspondance sans jamais écrire de vraies lettres).
Pour nombre d’enfants, la difficulté va donc être de « jouer le jeu » sans y avoir été préparé par le milieu familial, qu’il s’agisse de la place de la lecture ou du langage employé au quotidien.


Sylvain Grandserre

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Le fait que les repères qu’il a à la maison sont tellement différents de ceux qu’il découvre à l’école. Deux exemples :

  • il est d’un milieu précarisé et il ne maîtrise pas la langue, ne reçoit pas les codes utiles pour ses relations à l’autre (adultes ou enfants) ; ne reçoit pas le soutien et la motivation nécessaires de la part de ses parents qui sont eux-mêmes illettrés ou ne voient pas trop à quoi sert l’école ;

  • il sort d’un milieu plus nanti où il est le centre du monde, où on a du mal à lui dire « non », où on répond très vite à ses moindres désirs et du coup : l’école est difficile à appréhender parce que très frustrante ;


Le fait de ne pas comprendre le sens de l’école, ses objectifs : à quoi sert tout ce que je fais depuis le fait d’apprendre à couper sur une ligne quand je suis en maternelle jusqu’au fait de résoudre des problèmes quand je suis en primaire ? 

Le fait que ses parents ne fassent pas alliance avec l’école. L’enfant peut même carrément se sentir pris en tenaille entre les 2 (« tu diras à papa et maman qu’il est temps de payer la cantine ! » « tu diras à Madame que tu n’as pas eu le temps de faire ton devoir parce qu’on devait aller chez mamy »).


Marianne Leterme

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Pourquoi aller de l’enfant à l’élève et pas aussi le contraire : l’enfant ne doit pas disparaître, ou s’il disparait, c’est qu’on a effacé ses émotions, sa spontanéité, sa singularité, sources de créativité. En effaçant l’enfant, les obstacles à l’apprentissage apparaissent.

Notre objectif est que l’élève grandisse en prenant appui sur l’enfant, sur le collectif d’enfants et sur la culture permise par la classe (et donc aussi par l’enseignant).



Daniel Gostain