Des pratiques pour changer de regard

Y a-t-il de "bonnes recettes pédagogiques" pour accompagner un enfant en difficulté à l'école ? En d'autres termes, y a-t-il de "bons exemples" à reproduire ? Peut-on apprendre, en tant qu'enseignant, des expériences vécues par d'autres enseignants ?
Poser cette question conduit à s'interroger sur le transfert des pratiques pédagogiques.

Peut-on partager les savoirs d'expérience ?

S'il est vrai que les élèves développent leurs propres savoirs par un processus de construction personnelle et de confrontation avec leurs pairs, alors cela devrait l'être aussi pour leurs enseignants.
Tout enseignant, à force de gérer la classe au quotidien, développe sur son métier un certain nombre de connaissances construites "sur le tas", dans l'action. On désigne souvent sous le terme de
savoirs d'expérience ces manières de faire, ces "bons réflexes" qui font de lui un enseignant "ayant de la bouteille". Chantal Leclerc et Bruno Dourassa1 définissent ces savoirs comme "des savoirs tacites et des astuces qui restent individuels ou cloisonnés dans les équipes locales."

Ces connaissances empiriques sont-elles transférables ? Et si oui, à quelles conditions le sont-elles ?

Pour Bernard Rey, les "recettes" des uns ne sont jamais applicables telles quelles par les autres, car "une recette perd son sens et son efficacité si elle est appliquée mécaniquement : conçue pour un certain type de circonstances, elle doit être adaptée quand on a affaire à des circonstances différentes. Et comme les variables d’une situation de classe sont infinies, on y est constamment confronté à l’inattendu et à l’imprévisible." De plus, "une recette n’est jamais neutre. Même quand elle prend l’allure d’un impératif technique ou d’une simple démarche de bon sens, elle est toujours l’effet d’un choix de valeurs, qu’ils soient explicites ou non : au sujet de ce qui vaut la peine d’être enseigné, de la bonne manière de se conduire avec les enfants, de ce qu’est un humain accompli, de ce qu’est une société juste … S’il faut remonter des recettes aux principes qui les inspirent, c’est précisément pour pouvoir discuter de ces principes, montrer les valeurs qui les sous-tendent, les débats auxquels ils donnent lieu et les enjeux dont ils sont l’objet."
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Toute pratique pédagogique est une (re)construction

En réalité, toute pratique pédagogique est une (re)construction qui, selon Eveline Charmeux, devrait résulter d'un travail d'articulation entre 4 types de données : 

  1. Les finalités de l'éducation : celles que définissent les programmes et textes officiels, et qui établissent le contrat social dans lequel s'engage tout enseignant ;
  2. Ce que l'on sait aujourd'hui de l'apprentissage : l'état actuel de la recherche pédagogique dans le domaine des pratiques concernées ;
  3. Les enfants tels qu'ils sont, ici et maintenant : avec leurs déjà-là, leurs caractéristiques, leurs difficultés et leurs atouts, leurs problèmes et leurs solutions
  4. L'environnement matériel et événementiel de l'école et des enfants : le temps, l'espace, le cadre matériel disponibles ; l'actualité et la vie de la classe et de l'école

Si les deux premières sources sont vraies pour tout le monde, il est évident que les deux autres sont à la fois très variables dans le temps et particulières à chaque classe, ce qui rend absolument inadaptée à un contexte précis toute pratique pensée par d'autres dans un contexte différent. Aucune pratique ne peut se reproduire par simple décalquage.

Partager l'expérience, c'est s'enrichir

Mais si les savoirs d'expérience ne sont pas reproductibles par simple copier/coller, ils n'en constituent pas moins une source importante de développement professionnel des enseignants et un levier privilégié du changement de l'école. Ils peuvent être le point de départ d'un questionnement, offrir des pistes de solution auxquelles on n'avait pas pensé ou encore consolider des pratiques existantes.
Comme le souligne Albert Jacquard, ..."Les idées, les émotions, les interrogations c'est le contraire de l'argent : les partager, c'est s'enrichir."

Voici donc quelques expériences partagées par des enseignants qui ont accepté d'ouvrir la porte de leur classe. Les pratiques qu'ils décrivent ne constituent en aucun cas des modèles... mais simplement des formes de réponses, toujours perfectibles, aux difficultés vécues par des élèves dans "l'ici et maintenant" de la classe. Puissent-elles en susciter d'autres et, de la sorte, contribuer à construire une école plus juste pour tous les enfants.

1. Chantal Leclerc et Bruno Dourassa, Les savoirs d'expérience de praticiens de services d'éducation à l'emploi,
2. Bernard Rey, Faire la classe à l'école élémentaire, ESF éditeur, 1998, p. 8