Sophie Barbieux est institutrice primaire. Elle est aussi la maman de Eva ... qui a du mal à l'école.

Daniel Pennac
répond à nos questions
Maryline Léonard
répond à nos questions
Sophie Chiaramonte
prend la parole
Vincent Avart et Nancy Verdonc
prennent la parole
Sophie Barbieux répond à nos questions
Quelle est l'origine de votre réflexion/de votre attention  sur les difficultés des enfants à l'école ?
L’origine est double : d’une part mon expérience de maman, d’autre part, celle d’institutrice primaire. Plus précisément, ma fille Eva âgée de sept ans rencontre divers obstacles dans sa scolarité, tout comme d’autres enfants qui sont, eux, mes élèves.
En amont de ce constat, mon mari et moi avions réfléchi en tant que parents : nous ne ferions pas de projection pour nos enfants, mais nous les stimulerions par nos intérêts  pour le sport, la culture, la musique, la peinture, etc. Nous souhaitons les accompagner dans leur cheminement, pour qu’ils trouvent leur propre voie, mais sans leur imposer.
Pourtant, très tôt, j’ai imposé à Eva d’entrer dans la ‘norme scolaire classique’ ; je m’étais préparée à l’idée que tous les apprentissages ne seraient pas aisés pour mes enfants, tout en étant convaincue que tous les enfants pouvaient réussir. Je ne voyais donc aucun souci majeur prônant le goût de l’effort, tout en étant disponible pour les aider à réviser, pour offrir des cours particuliers durant les secondaires… Bref, nous étions convaincus de pouvoir trouver des solutions à chaque problème qui se présenterait.
Un nouveau fait s’est avéré dès la maternelle : Eva n’est pas rentrée dans la ‘norme’. J’en ai très vite pris conscience, mon entourage me disait de lui laisser du temps : ce que j’ai essayé de faire, j’essayais de ne pas être trop intrusive, trop ‘instit’ même si je l’étais : profondément, j’avais envie qu’Eva devienne ‘scolaire’, qu’elle arrive à compléter les documents fournis, à dénombrer, à écrire correctement, etc.
En effet, mon cadre professionnel me fait souvent rencontrer des enfants en difficulté : les profils le plus fréquents ce sont des enfants non stimulés par l’entourage familial, avec un équilibre social et familial défavorisé… J’étais perdue et désemparée : les outils de mon métier ne m’aidaient pas à appréhender ce que vivait ma fille qui ne correspondait pas à ce que j’avais l’habitude de rencontrer.

S’en suivit une longue période de questionnements, avec peu de réponses. J’ai frappé à beaucoup de portes, un parcours du combattant de plus de deux ans pour arriver à construire quelque chose d’équilibré. En tant que parents qui voulions à tout prix aider notre enfant, soutenus par une famille très présente et un corps professoral d’une grande qualité, mais le parcours fut long et difficile.
Par ailleurs, le cadre professionnel me frustre souvent : j’ai l’impression d’essayer de travailler au maximum selon mes convictions pédagogiques c’est-à-dire en y mettant du sens, avec du matériel, en rendant l’enfant acteur de ses apprentissages, en partant d’une activité complexe, en vivant les situations, en structurant... Malgré tout, certains enfants n’y arrivent toujours pas, me procurant la sensation d’évoluer avec ceux qui évolueraient même sans moi, les enfants ouverts aux apprentissages. Que mettre en place pour les autres ? Je passe dès lors à côté de ma mission d’éducation, accessible à tous. Que font les enfants et les parents qui ne peuvent compter «que» sur l’école ? Des solutions doivent venir du cours et non en dehors de celui-ci.



Votre expérience professionnelle vous a amené(e) à rencontrer de nombreux enfants en difficulté dans le contexte scolaire.  Pourriez-vous citer 3 caractéristiques communes à tous les enfants qui vivent cette réalité ?
  • Perte totale ou quasi-totale de confiance en soi, d’estime de soi (parfois cachée sous un comportement, timide, agressif, moqueur, amuseur ou autres).
  • Pensées négatives qui mènent l’enfant à une lassitude face au travail, un désintérêt. Cet enfant souffle, n’essaye pas, dit qu’il n’aime pas apprendre.
  • Pas ou peu d’évocations. Et donc pas ou peu d’abstraction, difficulté pour réinvestir un savoir.

Vos représentations de cette problématique ont-elles évolué dans le temps ?  Grâce à quoi ?  ... à qui ?
Grâce à Eva principalement et à tous les enfants de mon parcours professionnel : en quatrième année Emilie n’a aucune conscience du nombre, les signes des opérations ne raisonnent pas en elle (en effectuant une division telle que «88 : 4 = », elle obtient une réponse plus grande que son dividende et ne constate aucun problème), elle compte pour trouver les compléments de cent, etc.
Les questionnements, le cheminement pour trouver des solutions est long, mais les solutions existent.

Des adultes m’ont également fait évoluer tel ce psychomotricien qui parlait de ma fille sans fatalité avec une analyse juste et pertinente de mon enfant pour aller de l’avant. Tel ce neuropédiatre qui a su nous écouter, analyser convenablement la situation et nous a permis de mettre des solutions adaptées en place, un apport bien plus large qu’un simple avis médical.

Par ailleurs, j’ai aussi évolué par mes erreurs : de mauvaises analyses ont rendu à certains moments la prise en charge inadaptée comme essayer de la « rendre plus scolaire » ; ces mots résonnaient mal en moi et je m’y suis perdue quand même.
Je ne comprenais pas qu’un jour ma fille sache faire telle ou telle chose et plus le lendemain. Nous constations que face à certains apprentissages Eva régressait. Nous nous sommes donc acharnés, fâchés : elle le faisait exprès, c’était de sa faute. Nous passions du temps, nous faisions «tout» pour lui expliquer et elle n’arrivait toujours pas à faire «2+1». Je n’ai pas compris sans un avis éclairé qu’Eva avait perdu toute confiance en elle. Elle avait toujours fini la dernière, ratait ses tests depuis la maternelle, ses devoirs duraient parfois une heure, en classe ses copains disaient ‘Eva, elle se trompe toujours’, ses parents étaient tristes, ses points étaient écrits en rouge dans son bulletin : ce ne sont que quelques infimes exemples d’images négatives qu’Eva a reçues et ceci durant plusieurs années. Comment avons-nous pu penser qu’une enfant de 6ans pouvait le faire exprès ? Finalement, nous avons pris conscience qu’il fallait prendre les choses différemment : Eva est maintenant ouverte aux apprentissages et évolue.

Enfin, la « gestion mentale » m’a apporté beaucoup de réponses également. Dans mon enseignement, je me sens toujours ‘pressée’ par un facteur ‘matière’, qui me fait oublier des phases importantes dans les apprentissages : une réelle mise en projet énoncée aux enfants, mettre en tête ces supports concrets que je leur ai donnés, les entraîner davantage, les réinvestir suffisamment, utiliser diverses portes d’entrées pour les enfants qui ne fonctionnent pas comme moi, travailler davantage en continuité, etc.

A votre avis, l'école fait-elle partie du problème ?
Le système scolaire est répressif et normalisé. Est-ce le reflet de la réalité humaine ou juste celui d’une certaine société actuelle ? L’école devrait être accompagnante dans l’acquisition de savoirs, de savoirs-faire, mais en réalité, l’enfant doit rentrer dans la norme pour entrer dans le système.

Si les parents doivent faire appel à l’intervention de personnes compétentes, ils doivent s’apprêter à déployer beaucoup d’énergie, sans compter le coût élevé et le poids administratif puisque peu de choses existent à « l’intérieur » de l’école.

Que dire de ces classes toujours si nombreuses pour pouvoir différencier les apprentissages comme il le faudrait, pour analyser le profil de chaque enfant. Les cursus secondaires ou universitaires quant à eux donnent l’impression d’aimer ‘buser’ les élèves. J’ai le sentiment que c’est un nombre d’échecs élevé qui définit un niveau scolaire élevé et donc une bonne école ... ou encore qu’un jeune qui doit fournir plus d’efforts qu’un autre -ou des efforts différents- sera automatiquement en échec durant toute sa scolarité.

A mon avis la formation des enseignants fait aussi partie du problème. Entre autres choses : très peu de notions sur les « mécanismes métacognitifs » des enfants lors des apprentissages.

 
Comment appréhendez-vous la situation d'un enfant en difficulté à l'école ?  Quelles sont vos premières clés de lecture de cette difficulté ?
Il me semble q’un bilan complet doit être réalisé dans un premier temps visant à prendre l’enfant dans sa globalité et à connaître le profil de l’élève.
Après un test de QI, un bilan complet pourra être fait dans un centre pluridisciplinaire (neuropédiatre, logopède, psychomotricien, psychologue). Notons qu’un dépistage rapide d’un problème médical ou d’un trouble permettra de mettre des solutions rapides et efficaces en place. Ceci permettra à l’enfant de ne pas se perdre dans une situation de mal être, de renfermement ou de troubles psychologiques car incompris par des adultes ou d’autres camarades. Les troubles tels que la dysphasie, la dyspraxie, et troubles de l’attention ou autres sont encore très mal connus dans le milieu professoral et causent beaucoup de dégâts.

L’aspect psychologique de l’enfant est une part toute aussi importante à mon avis. Prendre en considération cet aspect pour aider l’enfant à se construire, lui permettre de trouver des repères. Nous pouvons faire des dégâts lourds de conséquence en restant enfermés dans nos ‘petites phrases’ et considérations toutes faites « il est fainéant, il n’y arrivera jamais, avec son milieu, rien ne l’intéresse,…. ».

Un profil dressé en regard de la gestion mentale me semble un soutien très efficace également.

Un travail de collaboration passant également par un réel dialogue avec la famille.

Ces éléments nous fourniront une base de travail pour aller de l’avant avec l’enfant.

Qu'avez-vous appris, par votre expérience, qui pourrait aider les enseignants à mieux appréhender la réalité de ces enfants et les guider dans leur travail d'accompagnement de ceux-ci ?  
Différents axes me semblent devoir être définis :

  • Prendre le temps de se questionner sur l’enfant, essayer de le comprendre et ne pas rentrer dans les stéréotypes faciles , casser cet engrenage de l’enfant en difficulté, lui faire confiance. ‘Il n’est vraiment pas courageux’, ‘il n’écoute jamais’, ‘il est fainéant’, ‘il n’aime pas apprendre, rien l’intéresse’ : pourquoi ?
  • Aborder la difficulté par un autre chemin et ‘évoquer’ davantage (ceci porte sur mon expérience avec la gestion mentale).

Naturellement, ceci vient soutenir mes convictions pédagogiques et non s'y substituer.

 
Pouvez-vous témoigner d'une réussite dans votre travail d'accompagnement d'enfants en difficulté ?
Tout enfant en difficulté qui, lors d’un apprentissage, dans une situation de recherche se démène jusqu’au bout pour trouver une solution, en ne disant jamais "je ne sais pas, c’est trop dur", c’est toujours une belle réussite. Parfois, il me dit " j’y étais presque, la prochaine fois je trouverai peut-être toute la solution ". Il est heureux d’avoir cherché, appris. Un enfant me disant ‘maintenant, j’aime bien lire, je lis des BD marrantes, je pourrai en ramener une si tu veux’ .

Il n’y a pas une réussite : voir l’enfant prendre du plaisir en apprenant, avancer, progresser, aller de l’enfant sont
des ‘réussites’.

Si vous pouviez disposer d'une baguette magique pour changer une seule chose dans l'école, que changeriez-vous ?
Des groupes moins nombreux.

Une école ouverte, accompagnante. Une école n’ayant pas de règles ‘répressives’, mais qui ferait davantage confiance à l’enfant.

Un autre système d’évaluation.

Des intervenants qui pourraient prendre les enfants individuellement pour les soutenir dans la difficulté ciblée (paperasserie, coût abordable pour tous). Par exemple ; un psychomotricien qui prendrait Timothé pour sa psychomotricité globale et fine car il a de la difficulté à découper, écrire ... Noémie pour son manque de concentration ... Mäeva car elle n’a pas confiance en elle ... le petit Lucas qui ne sait pas rester deux minutes sans bouger... La psychologue  qui aiderait Arthur, après tout ce qu’il a vécu, il est vraiment trop agressif sur la cour… Eva n’a pas trop d’amis sur la cour ... pourquoi ? ... Lara est élevée par sa mamie, son frère a besoin d’en parler, il n’est pas réceptif aux apprentissages… La logopède : Benjamin, dysphasique, a besoin de ce soutien… comme Margaux, dyslexique… Morgane, dysorthographique ... Gwendoline, dyscalculique….

 
Si vous n'aviez qu'un seul conseil à donner aux enseignants confrontés à l'accompagnement au quotidien d'enfants en difficulté à l'école, que leur diriez-vous ?
  • Il y a toujours une solution.
  • Partagez vos regards sur l’enfant, vos questionnements…
  • Gardez toujours confiance en eux et en vous.



Sophie Barbieux, février 2010