Vincent Avart est directeur de l'école "la Visitation" à Gilly, Nancy Verdonc y est assistante sociale, à temps plein

Daniel Pennac
répond à nos questions
Sophie Barbieux
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Maryline Léonard
répond à nos questions
Sophie Chiaramonte
prend la parole
Assistante sociale, membre de l'équipe à part entière

L'école "la Visitation" de Gilly est une école en discrimination positive (école en "D+").
Nancy Verdonc y travaille en tant qu'assistante sociale, depuis 9 ans.
A l'époque, Vincent Avart, le directeur de l'école, l'a engagée sur base du capital-périodes émanant des moyens "D+".
Avec l'entrée en vigueur du décret "encadrement différencié" (qui remplace le décret "D+") et l'augmentation des moyens mis à la disposition des écoles accueillant des publics défavorisés, leur témoignage revêt un intérêt de premier plan.
Voir la vidéo… (lien en construction)
En quoi consiste le travail d'une assistante sociale intégrée à l'école ?

Nancy Verdonc :
Mon travail se répartit sur deux grands axes :
  • Le travail de proximité avec toutes les personnes qui vivent à l’école : les enfants, les parents, les enseignants, la direction.
  • L’autre axe est de travailler le fonctionnement de l’école, de créer des institutions dans l’école, des lieux de paroles qui n’existaient pas, de revoir une organisation.
Avec les enfants, mon rôle est d'assurer une présence, dès leur entrée en maternelle jusqu’à la sortie de sixième primaire et pouvoir accompagner leur évolution.
Ce sont des enfants issus de familles en difficulté, des enfants qui vivent des choses parfois très difficiles à la maison et qui ont bien du mal à recentrer leur énergie sur leurs apprentissages.
Moi, je suis là pour les épauler, les entendre, leur offrir un lieu de parole, accompagner leur développement, au niveau de la gestion de la violence et de tout ce qui concerne la vie d’un enfant à la maison et à l’école.

Mon accompagnement des parents, c'est un soutien à la parentalité ( l’apprentissage des limites, l’éducation, ...) mais c'est aussi les aider à faire face des moments un peu difficiles dans leur vie : je suis là pour les entendre, les conseiller, les rediriger...
Leur expliquer également comment fonctionne l’école, pourquoi on leur demande certaines choses, pourquoi c’est important... Entendre aussi leurs incompréhensions vis-à-vis de l’école et les « traduire »…
Mon but, c’est vraiment d'être un agent de proximité avec les parents qui eux aussi apprennent à me connaître dès le premier jour jusqu’à la fin de la sixième. Une relation de confiance naît et ça permet de dépasser les événements souvent douloureux dans la famille au cours des années.

Et puis avec
les enseignants, c’est un travail très important parce que face à une population en difficulté, face à des élèves qui ont des niveaux pédagogiques très différents dans une classe, l’enseignant ne peut pas jouer tous les rôles.
C’est une collaboration essentielle avec chaque enseignant, qui est de l’entendre face à ses difficultés, parce qu’il ne faut pas nier que parfois les valeurs de l’enseignant sont remises en question, sont atteintes par des fonctionnements familiaux bien éloignés de leur fonctionnement personnel.

Mon rôle est de les entendre dans leurs difficultés de gérer des groupes difficiles, des enfants en difficulté, des familles qui ne sont pas acquises d’emblée à la cause de l’école... Mon rôle, c’est d’abord de les entendre et puis de collaborer.
Donc, on échange nos regards professionnels puisqu'en tant qu’assistante sociale j’ai une autre formation et d’autres outils à proposer. Cela passe par différents moyens pour aider l’enseignant : c’est parfois une présence en classe, parfois une animation de groupes ou des échanges individuels avec l’enfant, la famille, l’enseignant ou tous ensemble, un peu de médiation de conflit … tout ce qui peut aider l’enseignant.

Et je fais le même boulot avec la direction, parfois quand on doit rencontrer des familles avec lesquelles on sait que ça va être plus difficile, on le fait ensemble, on triangule, chacun avec sa casquette et c’est un apport très intéressant.
Etre assistante sociale dans l'école, c’est d'abord un travail au quotidien. Et l’intérêt, c’est que je suis dans l’école du matin au soir. Dès qu’il y a un souci, je suis là à l’instant où cela se produit. Que ce soit un cas de maltraitance, de violence, on a déjà vécu des situations extrêmement lourdes de suicide, d’assassinat ou des choses comme ça. Les personnes concernées ont un interlocuteur social présent et c’est précieux.

En ce qui concerne le deuxième axe, celui du travail sur le fonctionnement, je suis un peu la plaque tournante dans l’école : j’entends chaque acteur, j’observe et je rassemble tous ces éléments et je renvoie régulièrement aux équipes des choses qu’il faudrait peut-être mettre en place, des choses qu’il faut retravailler, des choses auxquelles on n’a pas pensé, des situations qui ont évolué, des consignes à rappeler…

Je fais vivre un peu tout cela, avec tous les acteurs car moi toute seule je ne peux rien faire !

Engager une assistante sociale plutôt qu'un enseignant supplémentaire, ce n'est pas une démarche habituelle. Comment cela s'est-il passé ?

Vincent Avart :
Cela n’a pas été facile : ça n’allait pas de soi pour les enseignants que l’on ne prenne pas un poste d’enseignant et donc, il y a eu pas mal de discussions pour en arriver à faire ce choix.
Maintenant c’est un choix qui n’est plus du tout remis en question puisque tout le monde part du principe que Nancy, en tant qu’assistante sociale, est indispensable dans l’école. Puisqu’elle vient en aide aussi bien aux familles qu’aux enfants et aux enseignants.

Si l’année prochaine il n’y avait plus la possibilité d’attribuer ces périodes à une assistante sociale mais qu’on serait obligé des les attribuer aux enseignants, comment réagirait l’équipe ?

Vincent Avart  :
Ce serait difficile à vivre parce qu’elle est réellement intégrée dans l’équipe, et donc les rôles sont bien établis. Si Nancy n'était plus là, je pense qu’on devrait, à l’intérieur de l’équipe, imaginer que quelqu’un reprenne cette "casquette".

Vous terminez la 9e année de l’expérience. Quel bonus on peut en tirer après autant d’années ?

Vincent Avart:
Je résumerais en disant que maintenant on est dans de
l’anticipation pratiquement du matin jusqu’au soir. On sait qu’on a une population très fragile, une population mouvante et des situations imprévues quelquefois très difficiles à gérer, mais on a des ressources puisqu’il y a une expérience, il y a une façon de faire, il y a une analyse du problème.

Pas plus tard que la semaine passée, nous avons été confrontés à une situation d’urgence : le cas d'un enfant qui avait été agressé sexuellement.
Nancy est venue me trouver en me disant : « Vincent, il faut qu’on se voie ». En une avant-midi, on a ainsi pu mettre en place quelque chose de très solide pour cet enfant.
Je pense qu’on n’aurait pas eu ce type d’attitude il y a cinq ou six ans.
Et donc on est vraiment dans de l’anticipation.
Au niveau des groupes, on sent quand l’attelage dérape et qu’il faut reprendre les rênes et redresser.

Les procédures, c’est la même chose : le racket n’existe plus, la violence n’existe plus… parce qu’on sait ce qui pourrait la provoquer.



Nancy Verdonc :
Moi, je pointerai aussi un bénéfice au niveau individuel, chez les acteurs que je rencontre : ce que je constate au fil des années, c’est que les enseignants collaborent autour d’un projet, et non plus en fonction des affinités personnelles, parce que « j’aime bien ou je n’aime pas la personne » .
Donc on a vraiment des gens qui se sont relevés réellement et qui,maintenant, sont passionnés dans leur école en D+ : une école pas évidente, mais ils ne voudraient plus aller travailler ailleurs. Vraiment. Des gens maintenant remotivés.

En ce qui concerne les parents, je constate en tout cas qu’il n’y a plus de situations dans l’école où des parents agressent verbalement ou physiquement des enseignants. C’était le cas quand je suis arrivée ici, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Parce qu’il y a toujours une personne à qui ils peuvent parler d’une manière neutre.

Ils savent très bien qu’ils peuvent venir me voir et s’ils ont besoin que ça soit couvert par un secret, ça le sera.
Si je dois les aider à entrer en communication avec la direction, avec un enseignant, je le ferai.

Dès le moment où ils savent qu’il y a un endroit où ils peuvent aller déposer leurs inquiétudes, leur ras-le-bol, … ça décante déjà énormément les choses. Et les relations entre enseignants et parents sont nettement plus positives et productives.

Quant aux enfants, maintenant qu’ils ont un lieu de parole -un endroit où, comme pour leurs parents, ils peuvent venir poser ce qui est lourd sur leurs épaules- je trouve qu'ils évoluent très bien !

Vincent Avart :
Le « vivre bien », ça nous permet de raccrocher au projet d’établissement qui est : « vivre ensemble pour avoir une meilleure action pédagogique » . Ce qui sous-tend évidemment le choix de l’assistante sociale et de tout ce qu’on a mis en place dans l’école.
Donc il fallait absolument travailler tout ce qui était le « savoir vivre », le relationnel entre adultes, entre enfants et entre adultes et enfants, parce que cela ne va pas de soi.
Et ça c’est un travail de longue haleine, qui a pu être mené avec Nancy. Elle repérait, comme moi, que l’on demandait quelquefois des choses aux enfants, que les adultes étaient incapables de faire.
Par exemple, on demandait aux élèves de se taire dans les rangs alors qu'en réunion du personnel, les enseignants on beaucoup de mal à le faire.
Toutes ces incohérences, on les relevait et on les retravaillait. Et le fait de les retravailler ensemble, évidemment c’est une force.

Nancy Verdonc, Vincent Avart - juin 2009