Apprendre, c'est ...

Comment se fait-il que toutes les écoles au sein d'un même réseau d'enseignement -que tous les enseignants au sein d'une même école- n'aient pas des pratiques semblables ?
Pour
Danielle Mouraux, une part importante de la réponse à cette question tient dans les conceptions sous-jacentes -et souvent implicites- de l'apprentissage : " Quand on creuse sous les pédagogies, on voit apparaitre ce qui est au coeur de toute relation d'éducation : le conception de l'apprentissage. La manière de répondre à la question "apprendre, c'est quoi ?" détermine tout le reste."1

C'est pourquoi toute action éducative - a fortiori si elle met en jeu différents intervenants- ne peut espérer atteindre un minimum d'efficacité si elle ne s'appuie pas sur la clarification de ce qu'est "apprendre".

Cette phase de recherche collective de sens à nos actions, pourtant essentielle, n'est-elle pas trop souvent négligée, au nom d'une forme d'efficacité ... toute relative ?

Agir collectivement pour que tous les élèves puissent grandir et s'épanouir dans toute la mesure de leurs potentialités tout au long de leur parcours scolaire, cela suppose que l'on ait réfléchi ensemble au sens que l'on donne au mot "apprendre".

C'est sur cette réflexion, préalable incontournable, que s'ouvre le Programme Intégré (
"Comprendre le fond et la forme", p.4).

Reprenant les idées qui y sont développées, mais avec d'autres mots et sous une autre forme, le tableau ci-dessous propose d'explorer les différentes facettes de ce qu'est "apprendre", ainsi que leurs implications pour l'organisation des apprentissages dans le cadre de l'école.

Apprendre, c'est ...
Faire apprendre, c'est ...
Apprendre, c’est d’abord s’impliquer personnellement dans le projet de grandir
Faire apprendre, c’est d’abord aider celui qui apprend à trouver du sens aux réponses : "Pourquoi viens-tu à l’école ? A quoi cela te sert-il d’apprendre à … (lire, écrire, calculer) ? En quoi cela consiste-t-il ?"
Faire apprendre, c’est travailler sur les représentations initiales des apprenants vis-à-vis des objets à apprendre et négocier avec eux ce que Philippe Perrenoud appelle “le contrat didactique”2.
Apprendre, ce n’est jamais combler des manques : c’est toujours faire évoluer des savoirs
Faire apprendre, c’est toujours prendre en compte “l’état des lieux” mental de celui qui apprend, c’est partir de ses représentations initiales pour les transformer ou pour les déconstruire avant de les reconstruire autrement, avec lui. C’est pourquoi le terme de “remédiation” n’a de sens que s’il s’agit d’une “re – médiation”. Elle est rarement “immédiate” car ce travail demande du temps.
Apprendre, c’est apprivoiser la complexité en la rencontrant d’emblée
Faire apprendre, c’est confronter dès le départ celui qui apprend à la complexité de ce qu’il apprend, en se donnant le temps (et les moyens) de l’aider à en démêler les nœuds. C’est aussi baliser son chemin afin de l’aider à progresser et à mesurer le chemin accompli dans la conquête de cette complexité.
Apprendre, ce n’est pas empiler, c’est mettre en relation
Faire apprendre, c’est aider celui qui apprend à tisser constamment des liens entre les savoirs qu’il construit.
Au sens propre du terme, c’est l’aider à “structurer” ses savoirs (structure = ensemble d’éléments reliés entre eux) en intégrant les nouveaux éléments à ceux qu’il possédait. Ce travail s’appuie sur le langage. Il est difficile car il implique souvent une réorganisation de l’ensemble des savoirs. Il demande donc du temps et suppose de considérer les savoirs comme des constructions perpétuellement en cours, des synthèses toujours provisoires. Faire apprendre, c’est aider celui qui apprend à (re)formuler ce qu’il est en train d’apprendre.
Apprendre, c’est affronter sereinement la difficulté
Faire apprendre, c’est aider celui qui apprend à quitter les schémas et fonctionnements qu’il a construits et qui le sécurisent. C’est l’aider à disqualifier ses procédures actuelles pour en développer d’autres, qui s’avéreront plus efficaces et mieux adaptées … par après. Cette transition est difficile. Elle demande de la confiance en soi, l’envie d’essayer, de tâtonner, l’audace d’oser ... au risque de se tromper, de ne pas être tout de suite sur la bonne voie ... et donc d’accepter le sentiment de patauger, de douter, l’impression de ne pas avancer...
Faire apprendre, c’est rassurer et donner confiance tout en maintenant l’obstacle qui fait apprendre.
Apprendre, c’est un processus personnel qui se nourrit des interactions avec d’autres apprenants
Faire apprendre, c’est amener celui qui apprend à se confronter personnellement à un obstacle à dépasser et à s’appuyer sur des interactions sociales pour évoluer dans son cheminement.

1 : Mouraux D., "L'école primaire, du tableau noir aux couleurs de la vie", p. 28, Ed. De Boeck, 1995
2 : Perrenoud Ph., "Construire des compétences dès l'école", p.85, ESF Editeur, 1997
Ne pas pouvoir développer l'une ou l'autre de ces dimensions du processus d'apprentissage, c'est être en difficulté pour apprendre. Certes, cette décomposition est toute relative, car les différentes facettes de l'apprentissage ne fonctionnent pas de manière isolée mais interagissent au sein d'une même dynamique, un peu comme la lumière dont les différentes composantes ne sont perceptibles qu'au travers d'un prisme. Mais elle permet d'envisager des pistes d'action pour venir en aide aux élèves qui sont en difficulté d'apprendre.
Si apprendre, c'est ...
Elève, je suis en difficulté pour apprendre si ...
Enseignant, j'aide un élève en difficulté pour apprendre lorsque ...
… d’abord s’impliquer personnellement dans le projet de grandir
… je ne sais pas pourquoi je viens à l’école,

… je ne perçois pas les nouveaux savoirs comme autant d’outils utiles dans ma vie d’enfant ( ... je ne perçois pas les pouvoirs nouveaux qu’ils me procurent).
… je mets les apprentissages en contexte, en mobilisant les compétences développées à l’école dans des situations vraies (axe de l’implication dans le milieu), où leur maîtrise donne du pouvoir sur les choses et permet d’agir efficacement.

… je consacre régulièrement du temps de classe pour discuter avec mes élèves de ce qu’est apprendre et comment on y arrive.

... j'invite chaque élève à
s'engager dans des activités librement choisies (axe de l'autogestion), à développer un projet personnel (devoirs libres, projets personnels, chefs d'oeuvre ...)
… ce n’est jamais combler des manques : c’est toujours faire évoluer des savoirs
… je ne parviens pas à ancrer ce que j’apprends dans ce que je sais déjà.
… je prends en compte les représentations initiales des élèves pour construire les apprentissages

… au terme d’un apprentissage, je reviens sur les représentations initiales des élèves, et je les aide à
verbaliser en quoi ce qu’ils ont appris a fait évoluer leurs savoirs antérieurs.

… j’archive ces représentations initiales, je valorise les brouillons comme des étapes d’une transformation.
… apprivoiser la complexité en la rencontrant d’emblée
… je vis mal pas l’incertitude liée au manque immédiat de "bonne réponse"

… si je me sens démuni lorsque, face à un problème à résoudre, ma première hypothèse de réponse n’est pas valide
… j’adapte les situations problèmes proposées à mes élèves en tenant compte de leurs possibilités (de leur zone proximale de développement).

… je sais
différencier la tâche proposée en faisant varier les données d’une même situation problème selon le degré de maitrise des compétences de chacun de mes élèves (principe de la dévolution du problème).

… je
développe l’autonomie de mes élèves en favorisant le recours à des aides (référentiels, matériel, …) s’ils sont bloqués lors de la recherche d’une solution

… je
planifie des activités d’apprentissage en logique de séquence, c’est-à-dire en confrontant les élèves à des situations complexes plusieurs activités mobilisant la même compétence visée et ce, de manière répétée dans un court laps de temps (axe du développement personnel)

… j’utilise des outils d’évaluation qui rendent compte des progrès des élèves en les situant face aux compétences attendues, et non en les comparant entre eux, directement ou indirectement.
… ce n’est pas empiler, c’est mettre en relation
… si je n’ai pas conscience de l’intention d’apprentissage qui se cache derrière la tâche que je réalise

… si j’ai du mal à exprimer ce que je suis en train d’apprendre parce que je manque de mots pour en rendre compte

… si je ne perçois pas les liens entre les apprentissages qui me sont proposés au fil de mon parcours scolaire.
… j’annonce clairement l’intention d’apprentissage du travail que je propose

… j’aide mes élèves à
établir des relations d’analogie entre des faits observés et des savoirs déjà construits

… j’élabore avec mes élèves des
synthèses provisoires, qui évoluent au fil des représentations et des apprentissages

… j’aide mes élèves à
formuler les savoirs déclaratifs qu’ils sont en train de construire, au lieu de formuler à leur place.
… affronter sereinement la difficulté
… si j’adopte un comportement de fuite face à chaque difficulté

… si je n’ai pas confiance dans mes propres capacités d’apprendre

… si la peur de l’obstacle m’empêche de grandir
… je sais identifier la compétence visée au travers d’une situation complexe d’apprentissage, de manière à savoir où maintenir la difficulté qui fait apprendre et où aider les élèves à surmonter les obstacles liés aux compétences sollicitées. … je prends du temps pour expliciter ce que c’est qu’apprendre.

… j’
équilibre le travail en classe en alternant les activités, de manière à ce que les élèves ne soient pas sollicités constamment sur les mêmes compétences cognitives (3 axes).

… je
prends le temps de mettre les enfants en contact avec l’objet de l’apprentissage, avant de les y confronter personnellement ( activités de contagion à court, moyen ou long terme).

… je relativise la portée de l’erreur en
valorisant les brouillons.

… je sais
différencier l’organisation du travail afin de permettre à certains élèves d’encore apprendre quand d’autres sont en entrainement (groupes de besoin).

… je veille à développer la
confiance en soi, notamment en apportant des feedbacks positifs.

… je crée un
cadre de travail stable et rassurant, qui permet d’aborder la complexité par des procédures de travail (et des consignes) connues et récurrentes.

… un processus personnel qui se nourrit des interactions avec d’autres apprenants
… si je n’ai pas développé de relations de réciprocité avec mes pairs.

… si le besoin d’affiliation au groupe supplante celui d’être moi-même.

… si je me sens menacé par les autres lorsqu’ils ont un point de vue différent du mien.

… si j’ai du mal à respecter l’autre dans ses différences.

… je valorise l’expression des raisonnements personnels tout en créant un climat d’échanges basé sur le respect et l’écoute de chacun.

… je favorise des
démarches de coopération et d’entraide face aux difficultés ( le co-pillage, le tutorat, …).

… j’aide mes élèves à sortir de leur égocentrisme cognitif, par exemple en favorisant la prise de conscience de points de vue divergents, la verbalisation par l’enfant de ses propres démarches et la reformulation de celles des autres.