Danielle Mouraux est sociologue.
Auteur de nombreux ouvrages sur l'école, elle s'intéresse plus particulièrement 
aux relations école/famille

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Quelle est l'origine de votre réflexion/de votre attention  sur les difficultés des enfants à l'école ?

Ma formation de sociologue et mon travail au service d’études de la Ligue des Familles (pendant 15 ans) : chargée du domaine de l’éducation, j’ai très vite été confrontée à l’éducation scolaire et aux difficultés de nombreux enfants, en particulier ceux issus des classes sociales situées en bas de la hiérarchie.
 
Votre expérience professionnelle vous a amené(e) à rencontrer de nombreux enfants en difficulté dans le contexte scolaire.  Pourriez-vous citer 3 caractéristiques communes à tous les enfants qui vivent cette réalité ?

Je n’ai guère rencontré d’enfants en difficulté scolaire, mais bien leurs parents et leurs enseignants, de même que les agents éducatifs tels que les PMS, les animateurs d’écoles de devoirs, etc.
Trois caractéristiques communes :
  • Ils ne comprennent pas vraiment ce qu’est être élève
  • Ils sont englués dans l’affectif (les sentiments de peur, de colère, de tristesse) et sont prisonniers des jugements (souvent définitifs) des adultes
  • Ils se sentent seuls responsables de leurs problèmes et se croient seuls (in)capables de les résoudre

Vos représentations de cette problématique ont-elles évolué dans le temps ?  Grâce à quoi ?  ... à qui ?

Ma formation sociologique m’a permis de dépasser les problèmes (psychologiques) des individus, souvent présentés comme causes premières des difficultés scolaires,  pour atteindre les problèmes causés par les relations sociales entre deux groupes aussi différents voire opposés que l’Ecole et les familles.
J’ai suivi de près les recherches d’autres sociologues et pédagogues qui se sont intéressés aux enfants des classes populaires, et ont analysé leurs rapports au savoir et à l’Ecole (Bernard Charlot, Jean-Yves Rochex, Olivier Maulini, Philippe Perrenoud, Eric Mangez) et ont mis en évidence des phénomènes de construction des difficultés scolaires au sein même des pratiques enseignantes (Elisabeth Bautier, Stéphane Bonnéry)
 
A votre avis, l'école fait-elle partie du problème ?

Plus que ça : elle est le problème, elle le crée et reproduit ainsi les inégalités sociales.
 
Comment appréhendez-vous la situation d'un enfant en difficulté à l'école ?  Quelles sont vos premières clés de lecture de cette difficulté ?

Je ne suis jamais amenée à traiter directement la situation d’un enfant en particulier, mais lors des formations que je donne auprès des équipes enseignantes, je prends souvent connaissance de « cas ». L’élève en difficulté à l’école est rarement compris mais toujours jugé « trop » quelque chose : fainéant, distrait, agité, agressif, paresseux, méchant, etc. Les raisons de ces « tares » données par les enseignants sont la plupart du temps extérieures à l’école : son père violent, sa mère alcoolique, sa famille disloquée, ses parents trop absents, etc. Face à ces jugements, je tente toujours d’aborder les choses via les relations établies entre cet enfant et sa famille, et l’école et les enseignants. Apparaissent ainsi les innombrables malentendus construits au jour le jour au sein des classes (dès la première maternelle) !
 
Qu'avez-vous appris, par votre expérience, qui pourrait aider les enseignants à mieux appréhender la réalité de ces enfants et les guider dans leur travail d'accompagnement de ceux-ci ?  

L’analyse des divers types de familles est fondamentale pour comprendre l’immense difficulté du passage de la famille à l’Ecole en tant que deux cultures, deux logiques de pensée, deux registres d’action. Je les représente par un rond (pour la famille) et un carré (pour l’Ecole) afin de bien marquer cette opposition.
Il est urgent de faire prendre conscience aux enseignants qu’ils sont eux-mêmes trop enfermés dans le registre rond (affectif, individuel, particulier et appréciatif) et que, s’ils veulent réellement fonctionner comme professionnels, il leur faut absolument passer dans le registre carré (cognitif, collectif, universel et évaluatif).
 
Pouvez-vous témoigner d'une réussite dans votre travail d'accompagnement d'enfants en difficulté ?
Je ne suis pas concernée par cet accompagnement.
Il faudrait pouvoir interroger les équipes éducatives et les agents qui ont suivi ma formation pour voir si cela les a amenés à changer leurs pratiques et si celles-ci ont été porteuses de plus de réussite …
 
Si vous pouviez disposer d'une baguette magique pour changer une seule chose dans l'école, que changeriez-vous ?

Le regard (accusateur, culpabilisant et infantilisant) que les enseignants posent sur les familles. 
 
Si vous n'aviez qu'un seul conseil à donner aux enseignants confrontés à l'accompagnement au quotidien d'enfants en difficulté à l'école, que leur diriez-vous ?

Quittez la tension entre sympathie et antipathie et entrez dans l’empathie. Cherchez à comprendre les mécanismes sociaux avant de juger les personnes.
 
PS : je suis frappée par le fait que votre questionnaire parle uniquement d’enfants en difficulté, et jamais d’élèves. Seriez-vous, vous aussi, dans une
vision ronde ? 

Danielle Mouraux, janvier 2010