Les parents ont des choses à me dire
Qui est responsable de la réussite ou de l'échec des enfants que les parents confient à l'école ?
Y a-t-il UN responsable ou s'agit-il d'une co-responsabilité ?
Les lieux de rencontres institués entre parents et enseignants (réunions de parents, conseils de participation, associations de parents, fêtes d'école, …) suffisent-ils ?
Quelles actions l'école peut-elle mettre en œuvre pour s'ouvrir vers les parents ?

Avant de chercher à répondre à ces questions, sans doute n'est-il pas inutile de rappeler quelques grandes orientations que l'on retrouve dans le décret "Missions" et dans les référents du réseau.
Décret "Missions"

Article 11 :
"…et tout pouvoir organisateur, pour l'enseignement subventionné, veillent à ce que les établissements dont ils sont responsables prennent en compte les origines sociales et culturelles des élèves afin d'assurer à chacun des chances égales d'insertion sociale, professionnelle et culturelle."

Article 67 :
"Dans l'enseignement fondamental, le projet d'établissement établit la manière selon laquelle est favorisée la communication entre l'élève, les personnes investies de l'autorité parentale ou qui assument la garde en droit ou en fait du mineur soumis à l'obligation scolaire et le personnel enseignant."

Missions de l'école chrétienne

"L'école veut accueillir l'enfant tel qu'il est éduqué déjà dans la famille ; elle le considère dans sa singularité. Elle l'aide à accéder à l'autonomie et à l'exercice responsable de la liberté. Elle accorde un soutien privilégié à ceux qui en ont le plus besoin."

"Les parents sont les premiers éducateurs de leurs enfants. L'école ne peut réussir toute sa tâche sans les parents, comme ils ne peuvent la réussir sans elle."

Les parents doivent exister au sein de l'école de leurs enfants
Lorsqu'on interroge des "experts" et des acteurs de terrain sur leur perception du rôle des parents dans les difficultés d'apprentissage des enfants, tous relèvent la nécessité du dialogue – même s'il est difficile – entre l'école et la famille.
Voici ce que l'on peut relever :

  • La non-résolution des difficultés rencontrées chez certains enfants trouve une explication dans les malentendus et les problèmes causés par les relations sociales entre deux groupes aussi différents voire opposés que l’Ecole et les familles. Il s'agit là souvent de deux cultures, deux logiques de pensée, deux registres d’action. La connaissance du fonctionnement des systèmes « famille » et « école » est donc déterminante.

  • Une des premières choses à changer dans l'école est le regard (parfois accusateur, culpabilisant et infantilisant) que les enseignants posent sur les familles. A l'inverse, il paraît essentiel que les parents (re)fassent confiance à leur enfant et lui (re)donnent de la valeur, indépendamment de ses résultats scolaires. Les parents apprendront ainsi à se sentir moins coupables et iront à la rencontre des enseignants dans un esprit de partenariat d’égal à égal, ce qui n’est plus nécessairement le cas lorsqu’il y a échec à répétition.

  • Ce ne sont pas les enseignants seuls dans leur classe qui peuvent affronter ces problèmes, mais bien l’ensemble de l’équipe éducative, en collaboration positive avec les parents, même si l’équipe éducative considère que les parents sont à l’origine des problèmes. Dans ce cas, raison de plus pour les impliquer de manière active dans l’accompagnement des enfants.

  • Certains parents ne peuvent comprendre, sans un avis éclairé, que leur enfant a perdu toute confiance en lui. Leur enfant leur apparaît en échec constant… Ils sont tristes et désemparés. Sans aide, ils risquent de maintenir l'enfant dans cette situation.

  • ...

Comment rapprocher école et familles ?

Deux univers


Pour Danielle Mouraux, les familles sont rondes, l'Ecole1 est carrée. L'articulation de ces deux univers particuliers ne va pas toujours de soi.

La famille est ronde.
La famille tourne sur 4 axes : l'affectif, le personnel, le gratuit et le particulier.
La rondeur de la famille est ainsi faite d'une prépondérance de ces quatre éléments dans le fonctionnement familial quotidien.
Chaque famille est un petit système complexe qui fonctionne sur base d'une alchimie particulière.
Cette dynamique construit au jour le jour le capital culturel de la famille.

L'Ecole est carrée.
L'Ecole est une institution dont les relations entre les membres tournent autour de 4 axes : le cognitif, le collectif, l'évaluatif et l'universel.
Elle construit un savoir objectivé. Elle transforme l'enfant en élève.

La société n'est ni ronde ni carrée, elle est hexagonale.

Faut-il rendre les familles plus carrées ? Ou arrondir l'école ?

Si elles veulent devenir partenaires, familles et école doivent rester ce qu'elles sont et comprendre que l'enfant a besoin de chacune telle qu'elle est.
Seule l'addition du rond et du carré donnera l'hexagone, l'insertion sociale, qui est et reste le but ultime de l'éducation.

Lorsque l'enfant entre à l'école, il devient élève. Pour réussir ce passage entre sa famille et son école, l'enfant a besoin :
  • d'une triple autorisation : s'autoriser à apprendre hors de la maison, sentir que ses parents l'autorisent à le faire et autoriser ses parents à rester ce qu'ils sont.
  • de passer d'une culture à une autre : changer de monde, de regard, de pensée, de croyance, de valeur.
  • de passer d'un langage à l'autre : du langage particulier, oral et pratique de la famille au langage universel, écrit et abstrait de l'école.
  • d'entrer dans une posture d'apprenant différente de celle qu'il a développée jusqu'alors, dans son quotidien. Il lui faut adopter tous les gestes, les attitudes, les postures physiques et intellectuelles qui composent l'acte d'apprendre à l'école et qui sont neuves pour lui : aucune activité scolaire n'est naturelle ni spontanée car chaque séquence d'apprentissage est réfléchie, organisée, concrétisée dans des tâches spécifiques.
  • de passer d'une position sociale à une autre : à l'école, l'élève doit entrer dans le collectif, dans ce qui le fait ressembler aux autres, dans une relation professionnelle et impersonnelle.

Lorsqu'il quitte son école pour retrouver sa famille, l'élève a besoin :
  • d' être accueilli comme un travailleur, de sentir que ses parents comprennent son effort scolaire.
  • d'utiliser ses savoirs nouveaux à la maison, de tester ses savoirs scolaires dans la vie réelle.
  • de redevenir un enfant, d'être libéré de son travail scolaire afin de continuer à apprendre, mais de manière culturelle et sociale, dans et via sa famille.

Se pose dès lors la question du
travail à domicile. Ainsi, pour Danielle Mouraux, l'Ecole pourrait renvoyer ses élèves à leur domicile non pas avec "rien à faire" mais avec la mission de chercher le sens, la signification, l'importance que prennent les savoirs scolaires dans la vie sociale, économique, culturelle, politique.

Cette attitude contribuerait à universaliser le scolaire, à lui donner du sens social et à confirmer l'Ecole comme un lieu carré d'apprentissage par excellence. De plus, elle valoriserait toutes les familles puisqu'elles peuvent ainsi accueillir leurs enfants en restant ce qu'elles sont : rondes !

Dépasser le poids des stéréotypes

Pour Eric Mangez2, le rapprochement de ces deux mondes ne peut se réaliser qu'en dépassant le poids des stéréotypes, de part et d'autre.

Pour beaucoup d'enseignants, les parents apparaissent trop souvent comme un bloc monolithique, indifférencié, alors que leurs relations avec l'école sont en réalité très différentes d'une famille à l'autre. De plus, ces relations sont changeantes, elles évoluent au fil du temps et au gré des circonstances.
Ainsi, on pourrait les répartir selon deux axes allant de l'opposition à l'acceptation, de manière active ou passive.
Se lamenter sur la démission des parents, c'est oublier qu'ils ne se situent pas tous dans la même relation vis-à-vis de l'école. C'est oublier aussi que cette relation peut changer.
Ainsi, selon Eric Mangez, le mythe des "parents démissionnaires" est éclairant car révélateur de paradoxes :
du côté des enseignants, on entend dire parfois que les parents “se désinvestissent de plus en plus”; qu’ils “ne s’occupent pas bien de leurs enfants” ; qu’ils “viennent toujours pour se plaindre”… Du côté des parents, on se dit exclu du projet pédagogique, incompris, mal accueilli…

"A ma connaissance, dit-il, il n’existe pas (ou si peu) de parents qui ne soient pas préoccupés par la scolarité et par l’avenir de leur enfant. D’un autre côté, certains enseignants ne souhaitent pas que ces parents s’investissent trop dans la sphère pédagogique. Estimant, à raison, que la pédagogie, c’est leur territoire, leur savoir-faire, leur identité professionnelle. La frontière entre l’école et la famille est fragile, ténue, en perpétuelle évolution."

Des repères différents

Une recherche menée par le Cerisis 3 auprès des familles défavorisées a mis en évidence que les repères (sociaux, culturels) des parents ne sont pas ceux des enseignants.
Souvent, des conflits entre école et familles naissent de perceptions différentes au départ de problèmes domestiques et pratiques : le contexte de l'école est différent de celui de la maison. Les parents ont une idée précise de ce que devraient être, dans le cadre de l'école, la discipline, l'apprentissage, la surveillance ... qui ne correspond pas à la vision qu'en ont les enseignants.

"Ainsi, une maman va juger négativement une institutrice parce qu'elle a laissé son enfant rentrer chez lui avec des mains sales ou parce qu'elle lui apprend à lire en jouant. Pour cette maman, l'école doit être synonyme de propreté et d'hygiène, et l'apprentissage n'est pas un jeu. De ces malentendus culturels naissent parfois des discordes."

Dépasser ces incompréhensions mutuelles constitue un enjeu capital car c'est tout le processus d'apprentissage chez l'enfant qui en dépend : l'enfant ne peut construire son identité sur un sentiment de "trahison", une situation de porte-à-faux, un affrontement ou une distanciation, qu'il vit au quotidien.


Des pistes pour construire un meilleur partenariat école/familles

Les parents et l'école ne sont pas condamnés à évoluer dos à dos. Il existe de nombreuses initiatives positives et concrètes. En voici quelques unes, proposées par la Ligue des Familles 4 :
Soigner la relation dès l’inscription.
La relation famille-école commence à la rentrée. En dehors des formalités administratives, l’établissement peut apporter un soutien concret aux parents (rédaction des documents, éventuelle traduction…) ; les informer plus ou moins largement (pédagogie, coût, sécurité…) ; prendre en considération leur situation familiale et/ou sociale, les habitudes et les éventuelles maladies de l’enfant… L’inscription peut être un premier moment d’intégration (visite des lieux, rencontre avec les enseignants…). C’est là que va se tisser la relation de confiance entre les parents et l’école.

Un « facilitateur » de dialogue.
Dans le rapprochement école-parents, le chef d’établissement joue un rôle fondamental. C’est lui qui va mettre les parents en confiance, encourager les enseignants à monter des projets vis-à-vis des parents, donner une impulsion au conseil de participation… Tolérance, sens de l’écoute, charisme… Les qualités humaines de ce directeur sont évidemment importantes.

Une communication en continu.
Téléphone, mot dans le cartable, recommandé, recours au journal de classe… Entre l’école et la maison, tous les moyens de communication sont utilisés. Certains sont efficaces, d’autres moins. Il peut y avoir des barrages culturels, linguistiques, économiques… Le moyen le plus direct reste l’entretien (informel ou non). Certaines écoles ont mis en place des dispositifs « planifiés » tout au long de l’année : groupe de mamans, excursions conjointes avec les parents, atelier rencontre avant la classe…

Autre initiative : le cahier de communication.
Utilisé en maternelle, cet outil permet aux parents qui ont très peu de contacts avec les instituteurs, de faire passer des petites « informations» de la vie quotidienne (petit bobo, incident en famille…). Ça se passe en dehors du journal de classe, l’enfant n’est pas mis dans la confidence, et ça permet de maintenir le lien. Seul problème : on doit passer par l’écrit, ce qui dans les milieux défavorisés n’est pas toujours opportun.

Faire « tomber » les murs.
Ouverture d’un local « des parents « avec coin café, création de commissions thématiques (fête, voyage…), participation à la gestion financière…
Plusieurs établissements ont mis en place des stratégies pour impliquer davantage les parents dans la vie quotidienne.

Valoriser l’école et la maison.
La relation parents-école passe aussi par un respect réciproque : valoriser les apprentissages scolaires, véhiculer une image positive de l’enseignant, soutenir l’enfant dans son cursus…
A l’inverse, l’école aura tout à gagner à valoriser les compétentes des parents : peindre des bâtiments, cuisiner pour une fête, témoigner de son métier en classe, participer à l’heure du conte… Autant de « petites choses » qui vont faire des parents des « partenaires » à part entière.
1. Avec une majuscule, l'Ecole est aux écoles ce que l'Eglise est aux églises : une institution traversée par des valeurs, et non les différents lieux qui l'incarnent.
2. Eric Mangez est docteur en sociologie ; il travaille au Centre de Recherches pour la Solidarité et l'Innovation Sociale (CERISIS) de l'Université Catholique de Louvain.
3. É. Mangez, M. Joseph & B. Delvaux,
Les familles défavorisées à l’épreuve de l’école maternelle. Collaboration, lutte, repli, distanciation, CERISIS - UCL, 2002
4. Dossier extra du journal Le Soir, 1/06/2006 :
"Profs, parents, élèves, qui est le chef ?"