A plusieurs, on perçoit mieux

  • "Kévin a de grosses difficultés en lecture ... Cela ne m'étonne pas, j'ai déjà eu son frère et c'était la même chose"
  • Solange ... Elle ne fait pas beaucoup d'efforts pour apprendre à compter !"
  • Eric est un élève très timide, qui n'a pas beaucoup confiance en lui. C'est ce qui peut expliquer ses difficultés d'apprentissage."
  • Olivier a des difficultés à l'école. Normal, c'est un paresseux !"
  • ...

Pour Caroline Desombre et Gérald Delelis
1, ces raisonnements à propos des élèves en difficulté scolaire sont fréquents au sein des écoles. Ils font référence à des explications ayant trait au contexte familial et aux caractéristiques personnelles de l'élève...

Or, on connait, depuis Rosenthal et l'effet "Pygmalion", l'importance du regard que porte l'enseignant sur chacun de ses élèves. L'élève perçu positivement par l'enseignant progressera de fait, à l'inverse de celui qui est perçu négativement.


Un regard qui enferme

Une
enquête menée récemment par la CGé auprès de 350 enseignants souligne le poids des préjugés vis-à-vis des élèves en difficulté à l'école : les personnes interrogées avaient à définir spontanément comment ils se représentaient soit des mauvais élèves, soit des bons élèves. Plus précisément, il leur était demandé de choisir le qualificatif approprié pour décrire de bons ou de mauvais élèves, dans une liste de termes opposés tels que "influençables ou autonomes", " peu confiants ou sûrs d'eux", "impulsifs ou prudents", "attentifs aux autres ou égoïstes", "chaleureux ou distants", "optimistes ou pessimistes", etc.
Les résultats montrent que les bons élèves cumulent tous les qualificatifs positifs et les élèves en difficulté, tous les qualificatifs négatifs : on voit les premiers plutôt "autonomes, créatifs, ouverts, pleins d'humour ..." . Quant aux seconds, ils sont perçus globalement négativement, même sur des aspects qui n'ont pas de lien évident avec la réussite scolaire ("attentifs aux autres ou égoïstes", par exemple).
Il est à noter que seules les caractéristiques "très intelligents/peu intelligents" ont échappé à cette tendance : les enseignants interrogés ne sont pas d'accord entre eux pour expliquer la réussite scolaire par l'intelligence de l'élève. Les réponses sont très variées. Pour Gaëtane Chapelle, auteur de l'enquête, cela s'explique sans doute par le fait que, "en 2010, cela ne se fait pas de déclarer qu'un mauvais élève n'est pas intelligent : c'est exagéré."

Une vraie malédiction

Pour le reste, les élèves en difficulté à l'école sont étiquetés globalement négativement par les enseignants. Ainsi, pour Gaëtane Chapelle, "Un bon élève a un crédit supérieur dans beaucoup de zones où l’on peut le juger, alors que le mauvais élève a un crédit négatif d’emblée. Cela signifie que quand un prof a face à lui un élève qui rencontre des difficultés scolaires, spontanément, malgré lui et malgré toute sa bonne volonté, parce que notre cerveau humain fonctionne ainsi et catégorise, il applique à cet élève un stéréotype qui comprend des traits négatifs de type manque d’humour, égoïsme, etc. Par définition, cela risque de peser sur cet élève, dans la relation entre le prof et l’élève, mais également entre les élèves. Car il y a fort à parier que ces stéréotypes, les élèves les ont également, pour leurs congénères et pour eux-mêmes."
Car les stéréotypes attribués aux élèves en difficulté n'influencent pas seulement le regard posé sur eux par les autres (enseignants ou élèves), mais aussi la manière dont ils vont eux-mêmes se percevoir et se comporter.


Peut-on vraiment changer de lunettes ?

Ce phénomène est-il inéluctable ? Comment espérer y échapper ?
Peut-on lutter contre les stéréotypes ? Pour Gaëtane Chapelle, plusieurs pistes sont à suivre.
Par exemple, "... on peut réfléchir à la manière d'évaluer l'élève : l'évalue-t-on en comparaison avec les autres ou bien avec lui-même, en mettant en avant ses progrès ? ... Il existe également des dispositifs qui font collaborer les élèves entre eux plutôt que de les mettre en compétition. Car plus on est en compétition, plus l'image de soi est importante et l'on risque gros si on est mal vu. Alors que si on coopère les uns avec les autres, on accepte qu'un tel m'aide quand il est meilleur dans une branche et vice-versa. L'image de soi prend alors moins d'importance."
Mais avant toutes choses il s’agit, conclut-elle, d’une autre posture à adopter :
voir l’élève autrement.

Croiser les regards, pour voir autrement

Lorsque la "relation pédagogique" avec un élève pose problème, le danger est grand pour l'enseignant de voir cette relation se transformer en impasse : "si chaque enseignant tente, par des démarches individuelles d'aider l'élève, il risque rapidement de se sentir impuissant".2
C'est pourquoi, dans un métier encore largement exercé de manière solitaire, il est urgent de développer des stratégies collectives de recherche de solutions aux problèmes posés par les élèves en difficulté à l'école.
De telles démarches sont encore marginales. Pourtant, lorsqu’il s’agit d’accompagner un enfant en difficulté, le travail de collaboration de toute une équipe s’avère riche en idées et en partage de pratiques. Et il permet presque toujours de déboucher sur de vraies pistes de solutions, à moyen et à long terme.

Ce travail de collaboration ne peut toutefois aboutir que s'il s'appuie sur une
méthodologie précise, articulée en 7 étapes.

1. C. Desombre et G. Delelis, "Le poids des stéréotypes", in Travailler avec les élèves en difficulté, Cahiers Pédagogiques n°480, mars 2010, p. 14
2. G. Felouzis, L'efficacité des enseignants, PUF/L'éducateur, p. 94, 1997