Martine Meurant est enseignante au cycle 2 (P1) de l'école fondamentale des Ursulines de Tournai

Evaluer avec des mots, pas avec des chiffres ...

Je n'ai pas souvenir d'avoir un jour complété un bulletin avec des points. Jeune enseignante, j'ai en effet eu la chance d'être engagée dans une école dite "en rénovation" où, à l'époque, la réflexion était déjà bien engagée sur le travail en cycle (de 5 à 8 ans), et sur la continuité des apprentissages. Et quand, en équipe, on se met à questionner ses propres pratiques pédagogiques, il devient vite évident qu'il est nécessaire aussi de repenser l'évaluation.
Ainsi par exemple, avec mes collègues, mettre des points sur l'apprentissage de la lecture en première année, cela nous paraissait à la fois compliqué et très réducteur : comment traduire en une seule note chiffrée la complexité des observations que nous pouvions réaliser auprès de chaque enfant, dans sa conquête du langage écrit ?
Il nous paraissait plus utile et plus précis de rendre compte des progrès de chacun avec des commentaires écrits.

Ce choix nous a poussés à préciser, avec nos mots, ce que nous attendions des enfants, dans chacun des domaines à apprendre. Au début, nous nous basions sur la formulation des compétences du programme.

Avec le temps, j'ai affiné cette trame, en cherchant à l'écrire sous une forme qui soit compréhensible par les "non-professionnels" que sont les parents de mes élèves.

J'essaie donc, pour chaque enfant, de résumer en quelques mots ce que j'ai pu observer de ses progrès en regard des objectifs poursuivis durant la période écoulée.
Voici, pour exemple, un extrait du premier bulletin de Baptiste, de Pauline et de Yllan.
Un outil léger, facile d'accès

A chaque période, le bulletin tient
en deux pages.
Elles viennent s'ajouter aux pages des périodes précédentes dans une chemise plastique qui suit l'enfant depuis la 3e maternelle.

J'essaie de ne pas ajouter trop de détails ni de termes trop hermétiques aux yeux des parents.
Comme je cherche à évaluer le développement de compétences qui sont travaillées toute l'année, cela implique que des termes identiques reviennent régulièrement d'une fois à l'autre... précision que j'annonce aux parents dès le deuxième bulletin.

"Oui, mais mon enfant ... il vaut combien ?"

Je me centre donc sur chaque enfant, sur ce qu'il réussit déjà et sur ce qu'il a encore du mal à réaliser. Partager ces observations aux parents, c'est leur renvoyer l'image la plus précise possible de "comment leur enfant grandit". Cela leur permet aussi d'être attentifs aux progrès de leur enfant en-dehors des temps de classe.
Ce choix, je suis pourtant souvent amenée à l'expliquer aux parents qui, après avoir pris connaissance du premier bulletin de leur enfant, ont régulièrement la réaction suivante : " Oui, c'est bien ... mais par rapport à la classe, il se situe où ?"
"Mon enfant, il vaut combien ? ... "
Cette préoccupation de comparer son enfant à celui des autres est commune à la grande majorité des parents. Elle traduit presque toujours le besoin de se rassurer, en sachant que son enfant est bien "dans la norme", que ses résultats scolaires sont aussi bons que ceux d'autres enfants du milieu proche (cousins, voisins, ...). D'ailleurs, j'ai pu constater que ceux qui me posent le plus souvent la question sont les parents des mes élèves qui ne sont pas en difficulté. Il m'est donc facile de les rassurer, en leur disant que tout va bien. J'en profite aussi pour les aider à relativiser la valeur des notes scolaires : 90% dans la classe de Madame A et 85% dans la classe de madame B, ce n'est jamais comparable !

Si je n'étais pas intimement convaincue du bien-fondé de cette manière d'évaluer chacun de mes élèves, j'aurais sans doute cédé depuis longtemps à cette demande : mettre des points sur quelques contrôles ponctuels passés à toute la classe, c'est toujours plus facile que de prendre le temps d'observer chaque enfant en situation et de retranscrire ces observations avec les mots justes ...


S'organiser pour observer

Observer comment chaque enfant se débrouille face aux situations d'apprentissage, ce n'est pas facile en cours d'activité. Même si je passe auprès de chacun, prendre des notes tout en (re)mettant un enfant au travail, cela me paraît souvent incompatible : lorsqu'une difficulté surgit, j'ai tendance à aider l'enfant en relançant sa recherche plutôt que de consigner mes observations par écrit. Et il m'est difficile de le faire ensuite, car je suis déjà en train d'en aider un autre ... C'est pourquoi j'organise régulièrement des temps d'évaluation plus individuels, que nous appelons avec les enfants "
les petits rendez-vous".
C'est une idée que m'a inspirée la lecture du livre de Yves Nadon
1 : lors de moments de travail autonome (contrats, entrainements, activités en autogestion ...) j'invite chaque enfant, à tour de rôle, à effectuer sous mes yeux une tâche mobilisant la compétence que je souhaite évaluer. Je prends des notes de ce que l'enfant réalise, en fonction des critères que j'ai choisi d'observer cette fois-là.

J'étale ces petits rendez-vous sur différentes périodes de la semaine, de manière à pouvoir consacrer le temps nécessaire à l'observation de chaque enfant.

Quand apprendre est difficile ...

Comme c'est le cas dans toutes les classes, j'ai des élèves en difficulté.
Mes procédures d'évaluation m'aident à mieux percevoir leurs difficultés, et à les communiquer à leurs parents (voir les
bulletins de Tom). Mais comme la plupart des enseignants, je me pose souvent des questions sur les moyens à mettre en oeuvre pour les aider, et je me dis régulièrement que je pourrais encore faire davantage que ce que je fais aujourd'hui.
J'essaie en tout cas d'être attentive à ce qui se passe dans leur tête, et je les encourage beaucoup à verbaliser ce qu'ils sont en train de construire mentalement. Cette année, j'ai d'ailleurs une élève qui a du mal en mathématiques, mais qui n'hésite pas à "réfléchir tout haut" : elle réagit toujours très spontanément lorsqu'elle rencontre une difficulté, en disant pourquoi elle ne comprend pas. Cela m'aide beaucoup ... à l'aider !
Les "petits rendez-vous" me permettent de solliciter plus individuellement les enfants sur ce point.

Rencontres autour d'un bulletin

Il y a quatre bulletins par an : à la Toussaint, à Noël, à Pâques et en fin d'année scolaire.
La communication des bulletins de Noël et de juin se fait à l'occasion d'une rencontre personnelle avec les parents. Par contre, pour les deux autres périodes, j'invite les parents à venir en classe. C'est l'occasion, pour chacun de mes élèves, de montrer à ses parents ce qu'il appris, et comment : l'enfant fait vivre des activités d'apprentissage à ses parents qui comprennent mieux, dès lors, le sens de mes remarques.
Se regarder grandir

Dès que possible, j'amène les enfants à prendre conscience qu'ils progressent : chacun réussit à présent des choses qu'il avait du mal à réaliser auparavant. Cela se présente souvent au terme d'une séquence d'apprentissage, après avoir développé une compétence en la mobilisant de manière répétée dans des activités s'étalant sur quelques jours.
De temps à autres, nous remontons le temps dans leurs documents (leurs cahiers, leurs productions, leur bulletin, ... ). Pour moi, c'est l'occasion de souligner qu'apprendre, cela demande du temps et des efforts -beaucoup de patience aussi- mais que cela porte toujours ses fruits : un jour ou l'autre, les efforts seront récompensés. Parfois plus vite pour les uns, moins vite pour les autres ... mais au bout du compte, chacun grandit même si c'est rarement perceptible dans l'immédiat.
Pour cette raison, j'ai choisi de mettre le texte "
la leçon du bambou chinois" sur la couverture de chaque bulletin.

1 : Nadon Y., "Apprendre à lire et à écrire en première année, et pour le reste de sa vie", éditions La Chenelière, 2002